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Contes merveilleux, Tome II

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Une année entière passa. L'empereur, la cour et tout les chinois connaissaient par cœur chacun des petits airs chantés par l'automate. Mais ce qui leur plaisait le plus, c'est qu'ils pouvaient maintenant eux-mêmes chanter avec lui, et c'est ce qu'ils faisaient. Les gens de la rue chantaient: «Ziziiz! Kluckkluckkluck!», et l'empereur aussi. Oui, c'était vraiment magnifique!

Mais un soir, alors que l'oiseau mécanique chantait à son mieux et que l'empereur, étendu dans son lit, l'écoutait, on entendit un «cric» venant de l'intérieur; puis quelque chose sauta: «crac!» Les rouages s'emballèrent, puis la musique s'arrêta.

L'empereur sauta immédiatement hors du lit et fit appeler son médecin. Mais que pouvait-il bien y faire? Alors on amena l'horloger, et après beaucoup de discussions et de vérifications, il réussit à remettre l'oiseau dans un certain état de marche. Mais il dit que l'oiseau devait être ménagé, car les chevilles étaient usées, et qu'il était impossible d'en remettre de nouvelles. Quelle tristesse! À partir de là, on ne put faire chanter l'automate qu'une fois l'an, ce qui était déjà trop. Mais le maestro tint un petit discourt, tout plein de mots difficiles, disant que ce serait aussi bien qu'avant; et ce fut aussi bien qu'avant.

Puis, cinq années passèrent, et une grande tristesse s'abattit sur tout le pays. L'empereur, qui occupait une grande place dans le cœur de tous les chinois, était maintenant malade et devait bientôt mourir. Déjà, un nouvel empereur avait été choisi, et le peuple, qui se tenait dehors dans la rue, demandait au chancelier comment se portait son vieil empereur.

«P!», disait-il en secouant la tête.

L'empereur, froid et blême, gisait dans son grand et magnifique lit. Toute la cour le croyait mort, et chacun s'empressa d'aller accueillir le nouvel empereur; les serviteurs sortirent pour en discuter et les femmes de chambres se rassemblèrent autour d'une tasse de café. Partout autour, dans toutes les salles et les couloirs, des draps furent étendus sur le sol, afin qu'on ne puisse pas entendre marcher; ainsi, c'était très silencieux. Mais l'empereur n'était pas encore mort: il gisait, pâle et glacé, dans son magnifique lit aux grands rideaux de velours et aux passements en or massif. Tout en haut, s'ouvrait une fenêtre par laquelle les rayons de lune éclairaient l'empereur et l'oiseau mécanique.

Le pauvre empereur pouvait à peine respirer; c'était comme si quelque chose ou quelqu'un était assis sur sa poitrine. Il ouvrit les yeux, et là, il vit que c'était la Mort. Elle s'était coiffée d'une couronne d'or, tenait dans une main le sabre de l'empereur, et dans l'autre, sa splendide bannière. De tous les plis du grand rideau de velours surgissaient toutes sortes de têtes, au visage parfois laid, parfois aimable et doux. C'étaient les bonnes et les mauvaises actions de l'empereur qui le regardaient, maintenant que la Mort était assise sur son cœur.

«Te souviens-tu d'elles?», dit la Mort. Puis, elle lui raconta tant de ses actions passées, que la sueur en vint à lui couler sur le front.

«Cela je ne l'ai jamais su!», dit l'empereur.»De la musique! De la musique! Le gros tambour chinois», cria l'empereur, «pour que je ne puisse entendre tout ce qu'elle dit!»

Mais la Mort continua de plus belle, en faisant des signes de tête à tout ce qu'elle disait.

«De la musique! De la musique!», criait l'empereur.»Toi, cher petit oiseau d'or, chante donc, chante! Je t'ai donné de l'or et des objets de grande valeur, j'ai suspendu moi-même mes pantoufles d'or à ton cou; chante donc, chante!»

Mais l'oiseau n'en fit rien; il n'y avait personne pour le remonter, alors il ne chanta pas. Et la Mort continua à regarder l'empereur avec ses grandes orbites vides. Et tout était calme, terriblement calme.

Tout à coup, venant de la fenêtre, on entendit le plus merveilleux des chants: c'était le petit rossignol, plein de vie, qui était assis sur une branche. Ayant entendu parler de la détresse de l'empereur, il était venu lui chanter réconfort et espoir. Et tandis qu'il chantait, les visages fantômes s'estompèrent et disparurent, le sang se mit à circuler toujours plus vite dans les membres fatigués de l'empereur, et même la Mort écouta et dit: «Continue, petit rossignol! Continue!»

«Bien, me donnerais-tu le magnifique sabre d'or? Me donnerais-tu la riche bannière? Me donnerais-tu la couronne de l'empereur?»

La Mort donna chacun des joyaux pour un chant, et Rossignol continua à chanter. Il chanta le tranquille cimetière où poussent les roses blanches, où les lilas embaument et où les larmes des survivants arrosent l'herbe fraîche. Alors la Mort eut la nostalgie de son jardin, puis elle disparut par la fenêtre, comme une brume blanche et froide.

«Merci, merci!» dit l'empereur.»Toi, divin petit oiseau, je te connais bien! Je t'ai banni de mon pays et de mon empire, et voilà que tu chasses ces mauvais esprits de mon lit, et que tu sors la Mort de mon cœur! Comment pourrais-je te récompenser?»

«Tu m'as récompensé!», répondit Rossignol.»J'ai fait couler des larmes dans tes yeux, lorsque j'ai chanté la première fois. Cela, je ne l'oublierai jamais; ce sont là les joyaux qui réjouissent le cœur d'un chanteur. Mais dors maintenant, et reprend des forces; je vais continuer à chanter!»

Il chanta, et l'empereur glissa dans un doux sommeil; un sommeil doux et réparateur!

Le soleil brillait déjà par la fenêtre lorsque l'empereur se réveilla, plus fort et en bonne santé. Aucun de ses serviteurs n'était encore venu, car ils croyaient tous qu'il était mort. Mais Rossignol était toujours là et il chantait.» Tu resteras toujours auprès de moi! dit l'empereur. Tu chanteras seulement lorsqu'il t'en plaira, et je briserai l'automate en mille morceaux.»

«Ne fait pas cela», répondit Rossignol.»Il a apporté beaucoup de bien, aussi longtemps qu'il a pu; conserve-le comme il est. Je ne peux pas nicher ni habiter au château, mais laisse moi venir quand j'en aurai l'envie. Le soir, je viendrai m'asseoir à la fenêtre et je chanterai devant toi pour tu puisses te réjouir et réfléchir en même temps. Je chanterai à propos de bonheur et de la misère, du bien et du mal, de ce qui, tout autour de toi, te reste caché. Un petit oiseau chanteur vole loin, jusque chez le pauvre pêcheur, sur le toit du paysan, chez celui qui se trouve loin de toi et de ta cour. J'aime ton cœur plus que ta couronne, même si la couronne a comme une odeur de sainteté autour d'elle. Je reviendrai et chanterai pour toi! Mais avant, tu dois me promettre!»

«Tout ce que tu voudras!», dit l'empereur. Il se tenait là, dans son costume impérial, qu'il venait d'enfiler, et pressait son sabre d'or massif sur son cœur.»Je te demande seulement une chose: ne dit à personne que tu as un petit oiseau qui te raconte tout; tout ira beaucoup mieux ainsi!»

Puis, Rossignol s'envola.

Lorsque les serviteurs entrèrent, croyant constater le décès de leur empereur, ils se figèrent, stupéfaits, et l'empereur leur dit: «Bonjour!»

Le sapin

Là-bas, dans la forêt, il y avait un joli sapin. Il était bien placé, il avait du soleil et de l'air; autour de lui poussaient de plus grands camarades, pins et sapins. Mais lui était si impatient de grandir qu'il ne remarquait ni le soleil ni l'air pur, pas même les enfants de paysans qui passaient en bavardant lorsqu'ils allaient cueillir des fraises ou des framboises.

«Oh! si j'étais grand comme les autres, soupirait le petit sapin, je pourrais étendre largement ma verdure et, de mon sommet, contempler le vaste monde. Les oiseaux bâtiraient leur nid dans mes branches et, lorsqu'il y aurait du vent, je pourrais me balancer avec grâce comme font ceux qui m'entourent.»

Le soleil ne lui causait aucun plaisir, ni les oiseaux, ni les nuages roses qui, matin et soir, naviguaient dans le ciel au-dessus de sa tête.

L'hiver, lorsque la neige étincelante entourait son pied de sa blancheur, il arrivait souvent qu'un lièvre bondissait, sautait par-dessus le petit arbre—oh! que c'était agaçant! Mais, deux hivers ayant passé, quand vint le troisième, le petit arbre était assez grand pour que le lièvre fût obligé de le contourner. Oh! pousser, pousser, devenir grand et vieux, c'était là, pensait-il, la seule joie au monde.

En automne, les bûcherons venaient et abattaient quelques-uns des plus grands arbres. Cela arrivait chaque année et le jeune sapin, qui avait atteint une bonne taille, tremblait de crainte, car ces arbres magnifiques tombaient à terre dans un fracas de craquements.

Où allaient-ils? Quel devait être leur sort?

Au printemps, lorsque arrivèrent l'hirondelle et la cigogne, le sapin leur demanda:

–Savez-vous où on les a conduits? Les avez-vous rencontrés?

Les hirondelles n'en savaient rien, mais la cigogne eut l'air de réfléchir, hocha la tête et dit:

–Oui, je crois le savoir, j'ai rencontré beaucoup de navires tout neufs en m'envolant vers l'Égypte, sur ces navires il y avait des maîtres-mâts superbes, j'ose dire que c'étaient eux, ils sentaient le sapin.

–Oh! si j'étais assez grand pour voler au-dessus de la mer! Comment est-ce au juste la mer? À quoi cela ressemble-t-il?

–Euh! c'est difficile à expliquer, répondit la cigogne.

Et elle partit.

–Réjouis-toi de ta jeunesse, dirent les rayons du soleil, réjouis-toi de ta fraîcheur, de la jeune vie qui est en toi.

Le vent baisa le jeune arbre, la rosée versa sur lui des larmes, mais il ne les comprit pas.

Quand vint l'époque de Noël, de tout jeunes arbres furent abattus, n'ayant souvent même pas la taille, ni l'âge de notre sapin, lequel, sans trêve ni repos, désirait toujours partir. Ces jeunes arbres étaient toujours les plus beaux, ils conservaient leurs branches, ceux-là, et on les couchait sur les charrettes que les chevaux tiraient hors de la forêt.

 

–Où vont-ils? demanda le sapin, ils ne sont pas plus grands que moi, il y en avait même un beaucoup plus petit. Pourquoi leur a-t-on laissé leur verdure?

–Nous le savons, nous le savons, gazouillèrent les moineaux. En bas, dans la ville, nous avons regardé à travers les vitres, nous savons où la voiture les conduit. Oh! ils arrivent au plus grand scintillement, au plus grand honneur que l'on puisse imaginer. À travers les vitres, nous les avons vus, plantés au milieu du salon chauffé et garnis de ravissants objets, pommes dorées, gâteaux de miel, jouets et des centaines de lumières.

–Suis-je destiné à atteindre aussi cette fonction? dit le sapin tout enthousiasmé. C'est encore bien mieux que de voler au-dessus de la mer. Je me languis ici, que n'est-ce déjà Noël! Je suis aussi grand et développé que ceux qui ont été emmenés l'année dernière. Je voudrais être déjà sur la charrette et puis dans le salon chauffé, au milieu de ce faste. Et, ensuite… il arrive sûrement quelque chose d'encore mieux, de plus beau, sinon pourquoi nous décorer ainsi. Cela doit être quelque chose de grandiose et de merveilleux! Mais quoi?… Oh! je m'ennuie… je languis....

–Sois heureux d'être avec nous, dirent l'air et la lumière du soleil. Réjouis-toi de ta fraîche et libre jeunesse.

Mais le sapin n'arrivait pas à se réjouir. Il grandissait et grandissait. Hiver comme été, il était vert, d'un beau vert foncé et les gens qui le voyaient s'écriaient: Quel bel arbre!

Avant Noël il fut abattu, le tout premier. La hache trancha d'un coup, dans sa moelle; il tomba, poussant un grand soupir, il sentit une douleur profonde. Il défaillait et souffrait.

L'arbre ne revint à lui qu'au moment d'être déposé dans la cour avec les autres. Il entendit alors un homme dire:

–Celui-ci est superbe, nous le choisissons.

Alors vinrent deux domestiques en grande tenue qui apportèrent le sapin dans un beau salon. Des portraits ornaient les murs et près du grand poêle de céramique vernie il y avait des vases chinois avec des lions sur leurs couvercles. Plus loin étaient placés des fauteuils à bascule, des canapés de soie, de grandes tables couvertes de livres d'images et de jouets! pour un argent fou—du moins à ce que disaient les enfants.

Le sapin fut dressé dans un petit tonneau rempli de sable, mais on ne pouvait pas voir que c'était un tonneau parce qu'il était enveloppé d'une étoffe verte et posé sur un grand tapis à fleurs! Oh! notre arbre était bien ému! Qu'allait-il se passer?

Les domestiques et des jeunes filles commencèrent à le garnir. Ils suspendaient aux branches de petits filets découpés dans des papiers glacés de couleur, dans chaque filet on mettait quelques fondants, des pommes et des noix dorées pendaient aux branches comme si elles y avaient poussé, et plus de cent petites bougies rouges, bleues et blanches étaient fixées sur les branches. Des poupées qui semblaient vivantes—l'arbre n'en avait jamais vu—planaient dans la verdure et tout en haut, au sommet, on mit une étoile clinquante de dorure.

C'était splendide, incomparablement magnifique.

–Ce soir, disaient-ils tous, ce soir ce sera beau.

«Oh! pensa le sapin, que je voudrais être ici ce soir quand les bougies seront allumées! Que se passera-t-il alors? Les arbres de la forêt viendront-ils m'admirer? Les moineaux me regarderont-ils à travers les vitres? Vais-je rester ici, ainsi décoré, l'hiver et l'été?»

On alluma les lumières. Quel éclat! Quelle beauté! Un frémissement parcourut ses branches de sorte qu'une des bougies y mit le feu: une sérieuse flambée.

–Mon Dieu! crièrent les demoiselles en se dépêchant d'éteindre.

Le pauvre arbre n'osait même plus trembler. Quelle torture! Il avait si peur de perdre quelqu'une de ses belles parures, il était complètement étourdi dans toute sa gloire.... Alors, la porte s'ouvrit à deux battants, des enfants en foule se précipitèrent comme s'ils allaient renverser le sapin, les grandes personnes les suivaient posément. Les enfants s'arrêtaient—un instant seulement—, puis ils se mettaient à pousser des cris de joie—quel tapage!—et à danser autour de l'arbre. Ensuite, on commença à cueillir les cadeaux l'un après l'autre.

«Qu'est-ce qu'ils font? se demandait le sapin. Qu'est-ce qui va se passer?»

Les bougies brûlèrent jusqu'aux branches, on les éteignait à mesure, puis les enfants eurent la permission de dépouiller l'arbre complètement. Ils se jetèrent sur lui, si fort, que tous les rameaux en craquaient, s'il n'avait été bien attaché au plafond par le ruban qui fixait aussi l'étoile, il aurait été renversé.

Les petits tournoyaient dans le salon avec leurs jouets dans les bras, personne ne faisait plus attention à notre sapin, si ce n'est la vieille bonne d'enfants qui jetait de-ci de-là un coup d'œil entre les branches pour voir si on n'avait pas oublié une figue ou une pomme.

–Une histoire! une histoire! criaient les enfants en entraînant vers l'arbre un gros petit homme ventru.

Il s'assit juste sous l'arbre.

–Comme ça, nous sommes dans la verdure et le sapin aura aussi intérêt à nous écouter, mais je ne raconterai qu'une histoire. Voulez-vous celle d'Ivède-Avède ou celle de Dumpe-le-Ballot qui roula en bas des escaliers, mais arriva tout de même à s'asseoir sur un trône et à épouser la princesse?

L'homme racontait l'histoire de Dumpe-le-Ballot qui tomba du haut des escaliers, gagna tout de même le trône et épousa la princesse. Les enfants battaient des mains. Ils voulaient aussi entendre l'histoire d'Ivède-Avède, mais ils n'en eurent qu'une. Le sapin se tenait coi et écoutait.

«Oui, oui, voilà comment vont les choses dans le monde», pensait-il. Il croyait que l'histoire était vraie, parce que l'homme qui la racontait était élégant.

–Oui, oui, sait-on jamais! Peut-être tomberai-je aussi du haut des escaliers et épouserai-je une princesse!

Il se réjouissait en songeant que le lendemain il serait de nouveau orné de lumières et de jouets, d'or et de fruits.

Il resta immobile et songeur toute la nuit.

Au matin, un valet et une femme de chambre entrèrent.

–Voilà la fête qui recommence! pensa l'arbre. Mais ils le traînèrent hors de la pièce, en haut des escaliers, au grenier… et là, dans un coin sombre, où le jour ne parvenait pas, ils l'abandonnèrent.

–Qu'est-ce que cela veut dire? Que vais-je faire ici?

Il s'appuya contre le mur, réfléchissant. Et il eut le temps de beaucoup réfléchir, car les jours et les nuits passaient sans qu'il ne vînt personne là-haut et quand, enfin, il vint quelqu'un, ce n'était que pour déposer quelques grandes caisses dans le coin. Elles cachaient l'arbre complètement. L'avait-on donc tout à fait oublié?

«C'est l'hiver dehors, maintenant, pensait-il. La terre est dure et couverte de neige. On ne pourrait même pas me planter; c'est sans doute pour cela que je dois rester à l'abri jusqu'au printemps. Comme c'est raisonnable, les hommes sont bons! Si seulement il ne faisait pas si sombre et si ce n'était si solitaire! Pas le moindre petit lièvre. C'était gai, là-bas, dans la forêt, quand sur le tapis de neige le lièvre passait en bondissant, oui, même quand il sautait par-dessus moi; mais, dans ce temps-là, je n'aimais pas ça. Quelle affreuse solitude, ici!»

«Pip! pip!» fit une petite souris en apparaissant au même instant, et une autre la suivait. Elles flairèrent le sapin et furetèrent dans ses branches.

–Il fait terriblement froid, dit la petite souris. Sans quoi on serait bien ici, n'est-ce pas, vieux sapin?

–Je ne suis pas vieux du tout, répondit le sapin. Il en y a beaucoup de bien plus vieux que moi.

–D'où viens-tu donc? demanda la souris, et qu'est-ce que tu as à raconter?

Elles étaient horriblement curieuses.

–Parle-nous de l'endroit le plus exquis de la terre. Y as-tu été? As-tu été dans le garde-manger?

–Je ne connais pas ça, dit l'arbre, mais je connais la forêt où brille le soleil, où l'oiseau chante.

Et il parla de son enfance. Les petites souris n'avaient jamais rien entendu de semblable. Elles écoutaient de toutes leurs oreilles.

–Tu en as vu des choses! Comme tu as été heureux!

–Moi! dit le sapin en songeant à ce que lui-même racontait. Oui, au fond, c'était bien agréable.

Mais, ensuite, il parla du soir de Noël où il avait été garni de gâteaux et de lumières.

–Oh! dirent encore les petites souris, comme tu as été heureux, vieux sapin.

–Mais je ne suis pas vieux du tout, ce n'est que cet hiver que j'ai quitté ma forêt; je suis dans mon plus bel âge, on m'a seulement replanté dans un tonneau.

–Comme tu racontes bien, dirent les petites souris.

La nuit suivante, elles amenèrent quatre autres souris pour entendre ce que l'arbre racontait et, à mesure que celui-ci parlait, tout lui revenait plus exactement.

«C'était vraiment de bons moments, pensait-il. Mais ils peuvent revenir, ils peuvent revenir! Dumpe-le-Ballot est tombé du haut des escaliers, mais il a tout de même eu la princesse; peut-être en aurai-je une aussi.»

Il se souvenait d'un petit bouleau qui poussait là-bas, dans la forêt, et qui avait été pour lui une véritable petite princesse.

–Qui est Dumpe-le-Ballot? demandèrent les petites souris.

Alors le sapin raconta toute l'histoire, il se souvenait de chaque mot; un peu plus, les petites souris grimpaient jusqu'en haut de l'arbre, de plaisir.

La nuit suivante, les souris étaient plus nombreuses encore, et le dimanche il vint même deux rats, mais ils déclarèrent que le conte n'était pas amusant du tout, ce qui fit de la peine aux petites souris; de ce fait, elles-mêmes l'apprécièrent moins.

–Eh bien, merci, dirent les rats en rentrant chez eux. Les souris finirent par s'en aller aussi, et le sapin soupirait.

–C'était un vrai plaisir d'avoir autour de moi ces petites souris agiles, à écouter ce que je racontais. C'est fini, ça aussi, mais maintenant, je saurai goûter les plaisirs quand on me ressortira. Mais quand?

Ce fut un matin, des gens arrivèrent et remuèrent tout dans le grenier. Ils déplacèrent les caisses, tirèrent l'arbre en avant. Bien sûr, ils le jetèrent un peu durement à terre, mais un valet le traîna vers l'escalier où le jour éclairait.

«Voilà la vie qui recommence», pensait l'arbre, lorsqu'il sentit l'air frais, le premier rayon de soleil… et le voilà dans la cour.

Tout se passa si vite! La cour se prolongeait par un jardin en fleurs. Les roses pendaient fraîches et odorantes par-dessus la petite barrière, les tilleuls étaient fleuris et les hirondelles voletaient en chantant: «Quivit, quivit, mon homme est arrivé!» Mais ce n'était pas du sapin qu'elles voulaient parler.

–Je vais revivre, se disait-il, enchanté, étendant largement ses branches. Hélas! elles étaient toutes fanées et jaunies. L'étoile de papier doré était restée fixée à son sommet et brillait au soleil.... Dans la cour jouaient quelques enfants joyeux qui, à Noël, avaient dansé autour de l'arbre et s'en étaient réjouis. L'un des plus petits s'élança et arracha l'étoile d'or.

–Regarde ce qui était resté sur cet affreux arbre de Noël, s'écria-t-il en piétinant les branches qui craquaient sous ses souliers.

L'arbre regardait la splendeur des fleurs et la fraîche verdure du jardin puis, enfin, se regarda lui-même. Comme il eût préféré être resté dans son coin sombre au grenier! Il pensa à sa jeunesse dans la forêt, à la joyeuse fête de Noël, aux petites souris, si heureuses d'entendre l'histoire de Dumpe-le-Ballot.

«Fini! fini! Si seulement j'avais su être heureux quand je le pouvais.»

Le valet débita l'arbre en petits morceaux, il en fit tout un grand tas qui flamba joyeusement sous la chaudière. De profonds soupirs s'en échappaient, chaque soupir éclatait. Les enfants qui jouaient au-dehors entrèrent s'asseoir devant le feu et ils criaient: Pif! Paf! à chaque craquement, le sapin, lui, songeait à un jour d'été dans la forêt ou à une nuit d'hiver quand les étoiles étincellent. Il pensait au soir de Noël, à Dumpe-le-Ballot, le seul conte qu'il eût jamais entendu et qu'il avait su répéter… et voilà qu'il était consumé....

Les garçons jouaient dans la cour, le plus jeune portait sur la poitrine l'étoile d'or qui avait orné l'arbre au soir le plus heureux de sa vie. Ce soir était fini, l'arbre était fini, et l'histoire, aussi, finie, finie comme toutes les histoires.