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Œuvres complètes de lord Byron, Tome 11

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LETTRE CCXLVII

A M. MURRAY

Diodati, 5 octobre 1816.

....................

«Gardez-moi un exemplaire du Richard III de Buck, republié par Longman; mais ne m'envoyez plus de livres, j'en ai déjà trop.

»Le Monody a beaucoup trop d'alinéas, ce qui me le rend inintelligible. Si quelqu'un le comprend dans la forme qu'il a maintenant, il en sait beaucoup plus que moi: cependant, comme ceci ne peut être rectifié qu'à mon retour, et qu'il a déjà été publié, continuez de le donner dans la collection; il tiendra la place de l'épître qui manque.

»Effacez «à la prière d'un ami», car c'est vraiment pitoyable, et semble avoir été mis exprès pour jeter du ridicule sur le poème.

»Mettez tous vos soins à l'impression des stances qui commencent ainsi, et qui me paraissent assez bien comme composition. Quoique le jour de ma destinée, etc.

»L'Antiquaire n'est pas le meilleur ouvrage des trois, mais c'est ce qui a paru de mieux depuis vingt ans, à l'exception de ses frères aînés. Les Mémoires de Holcroft sont précieux en ce qu'ils montrent de quelle force de résistance un homme peut être capable, faculté qui vaut mieux que tous les talens du monde.

»Ainsi donc vous avez publié Marguerite d'Anjou, et un conte assyrien, après avoir refusé le Waterloo de W*** W*** et le Cri Public 44; je ne sais pas ce qu'il faut le plus admirer en vous, d'avoir accepté les uns ou d'avoir refusé les autres. Je crois que la prose, après tout, est ce qui fait le plus d'honneur; car, certes, si l'on pouvait prévoir-mais je ne veux pas achever cette phrase. Quant à la poésie, c'est, je le crains, un mal incurable. Dieu me soit en aide si je continue dans cette manie d'écrire; j'aurai dépensé toutes les ressources de mon esprit avant d'avoir trente ans, mais cela me procure parfois un véritable soulagement. Pour aujourd'hui, bonsoir.»

Note 44: (retour) Hue and Cry.

LETTRE CCXLVIII

A M. MURRAY

Martigny, 9 octobre 1816.

«Me voici en route pour l'Italie. Nous venons de passer devant la Pisse-Vache, une des cascades les plus remarquables de la Suisse, et nous sommes arrivés à tems pour voir l'arc-en-ciel que les rayons du soleil y forment avant midi.

»Je vous ai écrit deux fois depuis peu. J'ai appris que M. Davies était arrivé; il vous apporte le manuscrit original que vous désiriez voir. Rappelez-vous que l'impression doit avoir lieu d'après celui que M. Shelley vous a remis; et n'oubliez pas non plus que les dernières stances de Childe Harold adressées à ma fille et que je n'étais pas encore décidé à faire paraître lorsque je les écrivis d'abord (comme vous le verrez en marge du premier manuscrit), doivent être maintenant, d'après la résolution que j'en ai prise, publiées avec le reste de ce chant, conformément à la copie que vous avez reçue de M. Shelley, avant que je l'eusse envoyé en Angleterre.

»Le tems est très-beau, beaucoup plus beau que nous ne l'avons eu cet été. – J'attendrai de vos nouvelles à Milan. Adressez vos lettres, posté restante, à Milan, ou par Genève, sous le couvert de M. Hentsch, banquier. Je vous écris ce peu de lignes dans le cas où mon autre lettre ne vous parviendrait pas; mais j'espère que vous recevrez l'une ou l'autre.

»P. S. Mes complimens distingués et amitiés à M. Gifford. Voulez-vous lui dire qu'il ne serait peut-être pas mal de joindre une courte note au passage relatif à Clarens, seulement pour dire que cette description ne s'applique pas tant à ce lieu en particulier qu'à tous les sites qui l'environnent? Je ne sais pas si cela est nécessaire. Je laisse à M. Gifford d'en décider, comme mon éditeur; il me permettra de l'appeler ainsi à une telle distance.»

LETTRE CCXLIX

A M. MURRAY

Milan, 15 octobre 1816.

«J'ai appris que M. Davies était arrivé en Angleterre, mais que de toutes les lettres qui lui avaient été confiées par M. H., la moitié seulement avaient été remises. Cette nouvelle me donne naturellement un peu d'inquiétude au sujet des miennes, et surtout pour le manuscrit que j'aurais voulu que vous pussiez comparer avec celui que je vous ai envoyé par l'entremise de M. Shelley. J'espère cependant qu'il sera arrivé sans accident ainsi que quelques petits articles de cristal du Mont-Blanc adressés à ma fille et à mes nièces. Ayez, je vous prie, la bonté de vous informer par M. Davies s'ils n'ont pas souffert à la douane ou été perdus en route, et veuillez me satisfaire sur ce point aussitôt que vous le pourrez sans vous gêner.

»Si je me le rappelle bien, vous m'avez dit que M. Gifford avait eu la bonté, à la demande que je lui en ai faite, de se charger de corriger les épreuves pendant toute mon absence, du moins je l'espère. Il ajoutera par là une nouvelle obligation à toutes celles que je lui ai déjà.

»Je vous ai écrit en route une courte lettre datée de Martigny. M. Hobhouse et moi sommes arrivés ici depuis quelques jours par le Simplon et le Lac Majeur. Il va sans dire que nous avons parcouru les Iles Borromées, qui sont belles, mais trop artificielles. Le Simplon est magnifique tant par l'art que par la nature: – Dieu et l'homme y ont fait merveille, pour ne rien dire du diable qui doit certainement avoir mis la main (ou, si l'on veut, la griffe) à quelques-uns de ces rochers et de ces ravins, à travers et par-dessus lesquels on a construit la route.

»Milan m'a frappé. – La cathédrale est superbe. La ville m'a rappelé Séville, quoiqu'elle lui soit un peu inférieure. Nous avions entendu des bruits divers qui nous avaient fait prendre des précautions sur la route, surtout vers la frontière, contre une bande de bons garçons qui battaient les grands chemins. On disait que, quelques semaines auparavant, dans le voisinage de Sesto ou Cesto, je ne me rappelle pas lequel, ils avaient dépouillé des voyageurs de leur argent et de leurs effets, outre la peur qu'ils leur avaient faite d'être assassinés, et que de plus ils avaient envoyé une vingtaine de chevrotines dans les reins d'un courrier de M. Hope pendant qu'il s'enfuyait. Mais nous n'avons pas été inquiétés, et n'avons, je crois, couru aucun danger, si ce n'est celui de faire quelques méprises, comme par exemple de préparer nos pistolets toutes les fois que nous voyions une vieille maison ou un taillis de mauvais augure, et de nous méfier de tems en tems des honnêtes gens de ce pays, qui ressemblent beaucoup aux voleurs des autres. Quant à la mine que peuvent y avoir les voleurs, je l'ignore et ne désire pas le savoir; car il paraît qu'ils se forment en troupes de trente à la fois, de sorte qu'il ne reste pas beaucoup de chance aux pauvres voyageurs. Cela rappelle à peu près ce qui se passe dans cette pauvre chère Turquie, à cela près que, dans ce pays, vous avez l'avantage d'être escortés par une troupe de garnemens assez nombreuse pour combattre celles des brigands réguliers. Mais ici on dit qu'il ne faut pas beaucoup compter sur les gens d'armes. Et l'on ne peut pourtant pas transporter son monde avec soi, armé, comme Robinson Crusoé, d'un fusil sur chaque épaule.

»J'ai été à la bibliothèque ambroisienne; c'est une très-belle collection remplie de manuscrits, publiés ou inédits. Je vous envoie la liste de ceux qui ont paru depuis peu: voilà des matériaux pour vos littérateurs. Quant à moi, dans mon ignorance, j'ai été enchanté de la correspondance originale et amoureuse de Lucrèce Borgia, et du cardinal Bembo, qu'on a conservée ici. Je l'ai examinée ainsi qu'une boucle de cheveux blonds, les plus fins et les plus beaux que l'on puisse imaginer. Je n'en ai jamais vu de plus blonds. J'irai souvent lire et relire ces lettres, et j'essaierai s'il ne m'est pas possible d'obtenir un peu de ses cheveux par quelque moyen honnête. J'ai déjà persuadé un bibliothécaire de me donner des copies des lettres. – J'espère qu'il ne me manquera pas de parole. Elles sont courtes, mais pleines de naturel, de grâce et d'à-propos. Il y a aussi des vers espagnols de Lucrèce. La mêche de ses cheveux est longue, et, comme je l'ai déjà dit, très-belle. La galerie de Brera renferme quelques beaux tableaux, mais ce n'est pas là une collection. Je ne suis pas connaisseur en peinture, cependant j'aime un tableau du Guercin représentant Abraham renvoyant Agar et Ismaël. – J'y ai trouvé quelque chose de naturel et de majestueux. Je méprise, déteste, et abhorre l'école flamande telle que je l'ai vue en Flandre; ce peut être de la peinture, mais de la nature, non! Le genre italien est agréable et son idéal très-noble.

»Les Italiens que j'ai rencontrés ici sont aimables et spirituels. Dans quelques jours, je dois voir Monti. Par parenthèse, je viens d'entendre une singulière anecdote, au sujet de Beccaria, qui a publié des choses si admirables contre la peine de mort. Aussitôt que son livre parut, son domestique (qui l'avait lu, je présume) lui vola sa montre; et son maître, tout en corrigeant les épreuves de sa seconde édition, ne négligea rien pour le faire pendre, afin que cela lui servît de leçon.

»J'ai oublié de vous parler d'un arc de triomphe, commencé par Napoléon, et destiné à être une des portes de la ville. Il n'a pas été achevé, mais la partie finie est digne d'un autre siècle, et de ce pays. La société ici a de singulières habitudes. On se voit au théâtre, et seulement au théâtre qui répond à notre opéra. On s'y réunit comme dans une assemblée; mais en très-petits cercles. De Milan j'irai à Venise. Si vous m'écrivez, que ce soit à Genève comme auparavant; la lettre me sera envoyée.

»Votre à jamais, etc.»

LETTRE CCL

A M. MURRAY

Milan, 1er nov. 1816.

 

«Je vous ai assez souvent écrit depuis peu, mais sans avoir reçu de réponse de fraîche date. M. Hobhouse et moi nous partons dans quelque jours, et vous ferez bien de continuer à m'adresser vos lettres chez M. Hentsch, banquier à Genève, qui me les enverra.

»Je ne sais pas si je vous ai dit, il y a quelque tems, que je m'étais séparé du docteur Polidori, quelques semaines avant mon départ de Diodati. Je n'ai pas grand mal à en dire; mais il était toujours prêt à se mettre dans l'embarras, et d'ailleurs trop jeune et trop étourdi pour moi. J'ai bien assez de m'occuper de mes propres affaires, et n'ayant pas le tems de lui servir de tuteur, j'ai pensé qu'il valait mieux lui donner son congé. Il était arrivé à Milan quelques semaines avant M. Hobhouse et moi, et il y a huit jours environ, qu'à la suite d'une querelle qu'il a eue au théâtre, avec un officier Autrichien, et dans laquelle il avait tous les torts, il a trouvé moyen de se faire renvoyer du territoire. Il est maintenant à Florence. Je n'étais pas présent à cette altercation qui se passait au parterre; mais on vint me chercher dans la loge du chevalier Brême, d'où je regardais tranquillement le ballet, et je trouvai mon docteur entouré de grenadiers, et arrêté par les soldats qui l'entraînèrent dans un corps-de-garde, où l'on entendait force jurons en diverses langues. On l'y aurait retenu toute la nuit; mais m'étant nommé et ayant répondu qu'il reparaîtrait le lendemain matin, on l'en laissa sortir. Le jour suivant il reçut un ordre du gouvernement, de partir sous vingt-quatre heures, et en conséquence il s'en est allé il y a quelques jours. Nous fîmes tout ce que nous pûmes pour lui, mais sans effet, et vraiment c'est lui qui s'est attiré cela, du moins d'après ce que j'ai entendu dire, car je n'étais pas présent à la querelle. Je crois que c'est véritablement ainsi que se passa l'affaire, et je vous en fais part, parce que je sais que les nouvelles vous parviennent souvent, en Angleterre, sous une forme fausse ou exagérée. Nous avons trouvé beaucoup de politesse et d'hospitalité à Milan 45, et partons dans l'espoir d'en trouver autant à Vérone et Venise. J'ai rempli mon papier.

»Tout à vous.»

Note 45: (retour) Le fait est cependant que le noble voyageur était loin d'être satisfait de Milan et de la société qu'il y avait vue, et dans son Memoranda il parle du séjour qu'il y a fait, comme de la quarantaine imposée à un vaisseau. Parmi d'autres personnes qu'il rencontra dans cette ville, se trouve M. Beyle, l'ingénieux auteur de l'Histoire de la peinture en Italie, et qui décrit ainsi l'impression qu'il conserva de leur première entrevue.

«Ce fut pendant l'automne de 1816 que je le rencontrai au théâtre de la Scala à Milan, dans la loge de M. Louis de Brême. Je fus frappé des yeux de lord Byron au moment où il écoutait un sestetto d'un opéra de Mayer, intitulé Elena. Je n'ai vu de ma vie rien de plus beau, ni de plus expressif. Encore aujourd'hui, si je viens à penser à l'expression qu'un grand peintre devrait donner au génie, cette tête sublime reparaît tout-à-coup devant moi. J'eus un instant d'enthousiasme, et oubliant la juste répugnance que tout homme un peu fier doit avoir à se faire présenter à un pair d'Angleterre, je priai M. de Brême de m'introduire à lord Byron. Je me trouvai le lendemain à dîner chez M. de Brême avec lui et le célèbre Monti, l'immortel auteur de la Basvigliana. On parla poésie: on en vint à demander quels étaient les douze plus beaux vers faits depuis un siècle, en français, en italien, en anglais. Les Italiens présens s'accordèrent à désigner les douze premiers vers de la Mascheroniana de Monti, comme ce que l'on avait fait de plus beau dans leur langue depuis cent ans. Monti voulut bien nous le réciter. Je regardai lord Byron. Il fut ravi. La nuance de hauteur, ou plutôt l'air d'un homme qui se trouve avoir à repousser une importunité, qui déparait un peu sa belle figure, disparut tout-à-coup pour faire place à l'expression du bonheur. Le premier chant de la Mascheroniana, que Monti récita presqu'en entier, vaincu par les acclamations des auditeurs, causa la plus vive sensation à l'auteur de Childe Harold. Je n'oublierai jamais l'expression divine de ses traits. C'était l'air serein de la puissance et du génie, et, suivant moi, lord Byron n'avait en ce moment aucune affectation à se reprocher.»

LETTRE CCLI

A M. MOORE

Vérone, 6 novembre 1816.

MON CHER MOORE,

«Je n'ai reçu que dernièrement la lettre que vous m'aviez écrite avant mon départ d'Angleterre, et qui m'était adressée à Londres. Depuis cette époque, j'ai parcouru une portion de cette partie de l'Europe que je n'avais pas encore vue. Il y a environ un mois que j'ai quitté la Suisse, par la route des Alpes, pour me rendre à Milan, d'où je ne suis parti que depuis quelques jours, et me voici sur la route de Venise, où je passerai probablement l'hiver. Hier j'ai été sur les bords du Benacus, avec son fluctibus et fremitu. Le Sirmium de Catulle conserve encore sa situation et son nom, et, grâce au poète, n'est pas encore oublié. Mais les grosses pluies d'automne, ainsi que les brouillards, nous ont empêchés de nous détourner de notre route (je veux parler de Hobhouse et de moi, qui voyageons maintenant ensemble), et il vaut beaucoup mieux ne pas l'avoir vu, que d'y être allés dans un moment si défavorable.

»J'ai trouvé sur le Benacus cette même tradition d'une ville encore visible, par un tems calme, au-dessous des eaux, que vous avez conservée de Lough Neagh, «Au déclin d'une nuit froide, étoilée.» Je ne sache pas qu'il en soit question dans aucune ancienne annale; mais on en raconte ici tout une histoire, et l'on vous assure que cette ville a été engloutie par un tremblement de terre. Nous avons traversé aujourd'hui la frontière pour aller à Vérone, par une route très-suspecte, par rapport aux voleurs-les gens prudens diront par rapport à la manière dont on y est escorté; mais nous n'avons éprouvé aucun accident. Je resterai ici un jour ou deux pour contempler, avec de grands yeux et la bouche béante, les merveilles ordinaires, l'amphithéâtre, les peintures et tous les impôts dont est généralement taxée l'admiration du voyageur. Mais je crois que Catulle, Claudien et Shakspeare ont plus fait pour Vérone, qu'elle n'a jamais fait elle-même. On prétend encore montrer, dit-on, les tombeaux des Capulets. – Nous verrons.

»Entr'autres choses que j'ai vues à Milan, il y en a une qui m'a fait un plaisir tout particulier, et c'est la correspondance (composée des plus jolies lettres d'amour qu'il y ait au monde) de Lucrèce Borgia et du cardinal Bembo, qui, dites-vous, fit un très-bon cardinal. On y trouve aussi une mêche des cheveux de Lucrèce, et quelques vers espagnols de sa composition. – Les cheveux sont blonds et superbes. J'en ai pris un que je conserve comme une relique, et j'aurais bien désiré avoir une copie d'une ou deux de ses lettres; mais cela est défendu, et c'est de quoi je ne me serais guère embarrassé, si malheureusement la chose n'eût été impraticable; je me suis donc contenté d'en apprendre quelques-unes par cœur. On les conserve dans la bibliothèque ambroisienne, à laquelle j'ai fait de fréquentes visites, pour lire et relire ces lettres, au grand scandale du bibliothécaire, qui aurait voulu éclairer mon esprit par la lecture de quelques précieux manuscrits traitant de sujets classiques, philosophiques et pieux. Mais je m'en suis tenu à la fille du pape, et j'aurais voulu être cardinal.

»J'ai vu les plus belles parties de la Suisse, le Rhin, le Rhône et les lacs Suisses et Italiens, pour la description desquels je vous renvoie au Guide du Voyageur. Il y a peu d'Anglais dans le nord de Italie, mais on dit que le midi en fourmille. J'ai vu souvent Mme de Staël à Coppet, dont elle fait un séjour extrêmement agréable. Elle a été d'une bonté particulière à mon égard. J'ai été pendant quelques mois son voisin, habitant une maison de campagne appelée Diodati, que j'avais prise sur les bords du lac de Genève. Il y a encore beaucoup d'incertitude dans mes projets, cependant il est probable que vous me verrez en Angleterre au printems. J'y ai quelques affaires. Si vous m'écrivez, que ce soit, je vous prie, sous le couvert de M. Hentsch, banquier à Genève, qui reçoit mes lettres et me les envoie. Rappelez-moi au souvenir de Rogers, qui m'a écrit dernièrement, et m'a donné un rapide aperçu de votre poème qui, je l'espère, est prêt à paraître. Il en parle dans les termes les plus flatteurs.

»Ma santé est très-supportable, à l'exception que je suis sujet de tems en tems à des étourdissemens et à des faiblesses, ce qui ressemble tant à une petite maîtresse, que j'ai un peu de honte de cette maladie. Lorsque je me suis embarqué, j'avais avec moi un médecin, dont, après quelques mois de patience, j'ai jugé à propos de me séparer, quelque tems avant de quitter Genève. En arrivant à Milan, j'ai retrouvé mon monsieur en très-bonne société, où il prospéra pendant plusieurs semaines; mais ayant fini par se prendre de querelle au théâtre avec un officier autrichien, il fut renvoyé par le gouvernement dans l'espace de vingt-quatre heures. Je n'étais pas présent à cette affaire; cependant, ayant appris qu'il était aux arrêts, j'allai le tirer de prison, sans pouvoir empêcher son renvoi, qu'à la vérité il méritait en partie, le tort étant de son côté, et ayant commencé la querelle pour le plaisir de se faire une querelle. J'avais d'avance imité moi-même l'exemple du gouvernement autrichien, en lui donnant son congé à Genève. Ce jeune homme n'est pas méchant, mais il est fort étourdi, et il a la tête chaude: je le crois plus propre à occasionner des maladies qu'à les guérir; Hobhouse et moi avons reconnu l'inutilité d'intercéder en sa faveur. Ceci est arrivé quelques jours avant notre départ de Milan: il est allé à Florence.

»A Milan, j'ai vu et reçu chez moi Monti, le plus célèbre des poètes italiens vivans. Il paraît avoir près de soixante ans, et ressemble de figure à feu Cooke, l'acteur. Ses fréquentes fluctuations en politique lui ont ôté beaucoup de sa popularité. J'ai vu plusieurs autres de leurs littérateurs, mais aucun dont les noms soient connus en Angleterre, à l'exception d'Acerbi. J'ai beaucoup vécu avec les Italiens, surtout avec la famille du marquis de Brême, composée d'hommes pleins de capacité et d'intelligence, surtout l'abbé. Il n'était bruit ici que d'un célèbre improvisateur, pendant le séjour que j'y ai fait. Son abondance m'a étonné; mais quoique j'entende et parle l'italien avec plus de facilité que de pureté, je n'ai pu recueillir de ses improvisations que quelques images mythologiques fort usées, un vers sur Artémise, un autre sur Alger, soixante mots environ d'une tragédie tout entière sur Étéocle et Polynice. Il plaisait à quelques Italiens, d'autres appelaient ses improvisations una seccatura 46 (expression qui, par parenthèse, est diablement bonne); enfin tout Milan était en dispute à cause de lui.

Note 46: (retour) Expression italienne très-familière, qui répond à peu près à celle d'ennui, et vient du verbe seccare, qui veut dire sécher. C'est donc, à proprement parler, quelque chose qui fait sécher d'ennui.(Note du Trad.)

»L'état des mœurs dans ce pays est un peu relâché. On me montra au théâtre une mère et son fils que la société milanaise a décidé appartenir à la dynastie thébaine, – mais ce fût tout: – celui qui me racontait cela, et qui est un des premiers personnages de Milan, ne me parut pas suffisamment scandalisé de ce goût ou de ce lien. Il n'y a de société à Milan qu'à l'opéra: chacun y a sa loge particulière, où l'on joue aux cartes, où l'on fait la conversation ou tout autre chose; mais, excepté au Cassino, il n'y a ni bals, ni maisons ouvertes, etc., etc..... .......................

»Les paysannes ont toutes de très-beaux yeux noirs, et quelques-unes sont même belles. J'ai vu aussi deux corps morts dans un merveilleux état de conservation: – l'un des deux est celui de saint Charles Borromée, à Milan; l'autre, à Monza, n'est pas celui d'un saint, mais d'un capitaine nommé Visconti: tous deux sont des objets fort agréables. Dans une des îles Borromées (l'Isola Bella), il y a un grand laurier, le plus grand que l'on connaisse, et sur lequel Buonaparte, qui se trouvait là la veille de la bataille de Marengo, grava avec son couteau le mot Battaglia; j'ai vu les lettres, maintenant à moitié effacées, et dont il ne reste plus qu'une faible trace.

 

»Excusez la longueur de cette lettre. – Les vieillards et les absens ont le privilége d'être quelquefois ennuyeux: – j'en profite en vertu du dernier titre, – et quant à l'autre, je le suis devenu avant le tems. Si je ne vous parle pas de mes affaires personnelles, ce n'est pas manque de confiance, mais par pitié pour vous et pour moi. Mes beaux jours sont passés; – eh bien! que voulez-vous? j'en ai joui pendant leur durée! A la vérité, je l'ai abrégée, et je m'aurais pas mal fait, je crois, d'en user de même à l'égard de cette lettre; mais vous me pardonnerez ce tort, sinon les autres.

»Votre à jamais affectionné.

B.

7 novembre 1816.

»P. S. J'ai parcouru Vérone. L'amphithéâtre est merveilleux: il surpasse même les monumens de la Grèce. – On y soutient avec une grande ténacité la vérité de l'histoire de Juliette; on en assigne la date à 1303, et l'on vous montre sa tombe. C'est un simple sarcophage ouvert, et tombant de vétusté, dans lequel il y a quelques feuilles mortes, et qui est situé au milieu du jardin désert et négligé d'un couvent qui fut autrefois un cimetière, dont il ne reste plus aujourd'hui que des ruines; ce lieu, où planent la destruction et la mort, m'a frappé comme très en rapport avec leur histoire, et ayant eu le même sort que leurs amours: j'en ai rapporté quelques morceaux de granit pour donner à ma fille et à mes nièces. Quant aux autres merveilles de cette ville, c'est-à-dire les peintures, les antiquités, etc., à l'exception du tombeau des princes Scaliger, je n'ai pas la prétention d'en juger. Le monument gothique consacré à ces derniers m'a fait plaisir, mais je suis «un pauvre virtuose», et

»Votre à jamais, etc.»

On peut avoir remarqué dans ce que j'ai rapporté de la vie de Lord Byron avant son mariage, que, sans passer tout-à-fait sous silence certaines affaires de galanterie dans lesquelles il passait pour être engagé, et qui étaient en effet trop publiques pour que je pusse éviter d'en dire quelque chose, j'avais cru devoir m'abstenir d'en donner les détails dans ma narration, et supprimer aussi les passages de son journal et de ses lettres qui se rapportaient d'une manière trop personnelle et trop particulière à ce sujet délicat. Quoique ces omissions aient laissé incomplète l'histoire étrange de son esprit et de son cœur dans un de ses chapitres les plus intéressans, j'ai cru cependant, tout en le regrettant, devoir faire ce sacrifice; par déférence pour les notions de bienséance de ce pays, où l'on regarde le récit de fautes de ce genre comme un crime presque aussi grand que de les avoir commises, et surtout à cause des égards dûs aux vivans qu'il ne faut pas, par une légèreté blâmable, faire souffrir des erreurs des morts.

Mais maintenant nous avons changé de lieu, et nous le suivons dans un pays où moins de précaution est nécessaire. Là, d'après la manière différente dont on juge les mœurs des femmes, si le peu d'importance attachée à leur conduite ne les excuse pas un peu, du moins en est-ce assez pour diminuer nos scrupules vis-à-vis de celles qui se trouvent dans ce cas; et quelque réserve que nous jugions à propos de conserver encore en parlant de leurs faiblesses, c'est moins par ménagement pour elles que par égard pour nos opinions et nos coutumes.

Profitant à ce dernier titre de la latitude un peu plus grande qui m'est accordée, je m'écarterai désormais du plan que j'ai suivi jusqu'ici, et donnerai, en n'y faisant que peu de suppressions, les lettres du noble poète relatives à ses aventures en Italie. Jeter un voile sur les irrégularités de sa vie privée (en supposant que la chose fût possible) serait peindre son caractère d'une manière partiale, tandis que, d'autre part, lui enlever l'avantage de raconter lui-même ses erreurs (lorsque ses aveux ne peuvent faire de tort à personne) serait lui ravir le moyen d'atténuer lui-même des faiblesses où l'entraînèrent le feu de son imagination, son amour passionné de la beauté, et surtout ce profond besoin d'être aimé qui se mêle à ses attachemens les moins délicats. Il n'y a pas non plus grand'chose à redouter de l'autorité ou de la séduction d'un tel exemple. Celui qui osera s'appuyer du nom de Lord Byron pour justifier ses erreurs, devra d'abord prouver qu'elles proviennent de la même source-de cette sensibilité dont les excès même prouvèrent la force et la profondeur, – de cette étendue d'imagination qui fut portée peut-être jusqu'au dernier point où elle puisse aller dans l'homme, sans que sa raison en soit ébranlée; – enfin de cette réunion entière de facultés sublimes, mais inquiètes, qui pouvait seule atténuer un tel déréglement, mais qui, dans celui-là même auquel la nature avait accordé des dons aussi dangereux, n'était pas suffisante pour lui servir d'excuse.

Ayant cru nécessaire de commencer par ces observations, je vais maintenant mettre sous les yeux du lecteur sa correspondance pendant cette année et les deux suivantes d'une manière moins interrompue.