Le Vicomte de Béziers Vol. II

Text
Read preview
Mark as finished
How to read the book after purchase
Font:Smaller АаLarger Aa

Chacun approuva cette mesure, Gérard de Pépieux plus que tout autre, qui prévoyait ainsi le moyen de se défaire de ses belles prairies et de ses champs pour les changer en richesses plus faciles à défendre et à emporter.

— Sans doute, dit-il, ces deux octrois amèneront l’argent suffisant pour approvisionner les places et avoir des armes. Mais où trouver des soldats ? car en forçant le droit de chevauchée aussi haut que possible, il ne fournira jamais assez d’hommes pour la guerre à laquelle il faut nous préparer.

— Eh bien ! dit Roger, les hommes se trouveront comme l’argent. Écris, Buat, deux actes pareils à ceux-ci, le premier en quatre et le second en sept copies ; le premier pour nos sénéchaux de campagne, le second pour les viguiers de nos villes. Écris au premier : que tous serfs de corps ou de terre qui viendront habiter nos villes y dénommées acquerront, par le seul fait de leur habitation pendant un an dans lesdites villes, la qualité d’hommes libres, et qu’ils en deviendront bourgeois en s’y conformant aux redevances dues par les bourgeois, tant pour le service militaire qu’ils font de leur personne, que pour la quête qu’ils paient pour le bon entretien des murailles.

— C’est dépeupler les campagnes au profit des villes, s’écria Gérard.

— Les campagnes n’ont point besoin d’être défendues, puisque, à votre dire, elles ne peuvent l’être ; il faut donc songer à la protection des villes qui doivent devenir dans ce moment notre premier et important asile. Continue, Buat, et écris au second acte que je t’ai commandé : que tout bourgeois vivant noblement sera admis à l’ordre de chevalerie, et recevra la ceinture militaire sur l’attestation de vingt-trois bourgeois ou chevaliers de la comté, certifiant son mérite, sa loyauté et son courage, et cela sans que le seigneur de sa ville puisse s’y opposer.

Cette dernière décision excita un grand murmure parmi les chevaliers ; plusieurs se récrièrent que c’était une nouveauté sans exemple, une dégradation de l’ordre de la chevalerie.

— Or donc, Messires, dit Roger après avoir laissé écouler toutes leurs exclamations, vous voulez que la permission d’un seigneur et son caprice soient préférables au choix de vingt-trois des plus honorables habitants d’une ville ? vous dites que c’est une nouveauté, et qu’elle amènera la dégradation de la noblesse ? Cette nouveauté, Messieurs, est la coutume immémoriale de la ville de Beaucaire, et j’en appelle à messire d’Hosloup, qui a obtenu sa ceinture militaire de cette manière. Est-il aussi aisé de gagner l’estime de vingt-trois notables habitants d’une ville que la faveur d’un seigneur ? et quelle que soit la valeur et le renom des chevaliers de mes comtés, n’est-il pas avéré que la chevalerie de Beaucaire est la plus célèbre de la province pour son courage et sa splendeur ? Faites-donc trêve à ces vaines réclamations, et maintenant que je vous ai montré ce que je pouvais faire, sachez que c’est ce que je veux faire, et que cette volonté est inébranlable. Permis à ceux qui me trouvent coupable ou insensé de ne point s’y soumettre ; mais permis à moi de les dénoncer dès ce jour comme lâches et félons, et de les punir et dépouiller de leurs propriétés pour en revêtir tel chevalier qu’il me plaira. N’est-ce pas la loi, sire de Pépieux ? n’est-ce pas justice, chevalier de Lérida ?

Le premier courba la tête en signe d’assentiment ; et le second, qui ne demandait pas mieux que voir un cas de félonie se présenter pour en pouvoir profiter, lui pauvre citadin, sans terres ni château, Lérida s’écria :

— C’est justice, Monseigneur, exacte justice.

— Maintenant, Messires, au point du jour nous quitterons cette cité ; que chacun de vous aille en prévenir ceux de sa mouvance, chevaliers ou autres ; le rendez-vous est ici, au soleil levant. Maintenant aussi vous qui m’avez été fidèles, recevez mon remerciement : j’étais encore enfant lorsque vous me rendîtes foi et hommage, jurant de me protéger de votre force et de votre autorité ; aujourd’hui que je suis un homme, je vous rends serment pour serment. Sur mon âme et Notre Seigneur Jésus-Christ, je vous jure qu’il ne sera fait tort à aucun de vous, que ce tort ne devienne mien, aucune offense qui ne devienne mon offense ; et je vous jure que tant qu’il me restera un champ au soleil, un sol en mon trésor, une épée au poing, une goutte de sang dans les veines, vous les pourrez demander pour réparer vos torts ou venger vos offenses. Par ainsi, me tenez-vous pour votre ami et votre suzerain ?

— Pour notre suzerain et notre ami, s’écrièrent tous les chevaliers.

Ils sortirent tous, à l’exception de Pierre de Cabaret et de Saissac qui demeurèrent sur un signe de Roger. Ni l’un ni l’autre n’avaient fait la moindre observation à tout ce qu’avait décidé le vicomte ; Pierre de Cabaret, parce qu’il était de sa nature et de ses habitudes d’obéir aveuglément à tout ordre de son suzerain ; Saissac, parce qu’il avait trop de connaissance du caractère du vicomte pour ne point voir qu’il était dans un de ces moments où sa volonté était inflexible comme le roc, et qu’en s’y opposant, il n’eût fait que la rendre moins souveraine pour les chevaliers présents, sans cependant y rien changer ; d’ailleurs il avait trop d’habitude des affaires pour ne point reconnaître avec quelle rapidité et quelle supériorité le vicomte avait découvert et employé les ressources qui lui restaient dans ce moment de détresse. Quand Roger se retrouva seul avec ses intimes, il ne craignit pas de descendre avec eux de la fière froideur où il s’était enfermé vis-à-vis des autres ; il s’assit, et après s’être fait servir une coupe pleine d’une eau glacée mêlée de jus d’orange, il dit à Pierre de Cabaret :

— Sur mon âme, mon vieux chevalier, j’ai cru que j’allais mourir quand je me suis laissé aller là tout à l’heure, comme je faisais étant enfant, et que je me coupais le doigt en me façonnant une flèche avec un couteau ; c’est une infirmité de ma nature. Il y a des moments où le cœur me manque comme à une fille de quinze ans.

— Ce n’est pas au combat, Monseigneur.

— C’est que, vois-tu, mon bon Pierre, on sait où l’on va au combat ; la pire chance, c’est d’y être tué ou vaincu, et on se fait par avance une raison pour ces sortes de malheurs ; au lieu que dans la vie il en advient de si inattendus et de si profonds qu’ils vous anéantissent avant qu’on ait pu y prendre garde, et se cuirasser contre eux.

— Et maintenant, Monseigneur, dit Pierre en s’approchant de lui :

— Maintenant tout est fini, mon bon soldat, et nous n’avons plus qu’à nous mettre l’épée au flanc et le casque en tête, et nous battre bravement et à mourir de même, si l’on veut.

— Qui peut empêcher un chevalier de mourir ainsi ? reprit Pierre.

— Qui sait ? dit Roger. Il y a la trahison qui tue le corps aussi bien que l’âme ; on peut donner un coup de poignard ou un gobelet de poison à celui dont on a fait mentir la vie et calomnié le cœur. Mais ne pensons plus à cela. Buat, va voir si les hommes que j’ai fait mander sont arrivés.

Buat sortit ; et pendant qu’il s’éloignait, Saissac le suivit des yeux avec attention, et quand il eut rencontré le regard de Roger, celui-ci lui sourit doucement, lui tendit la main, et lui montrant Buat d’un signe de tête, il lui dit :

— Il est brave, et fort comme le lion, il est patient comme la tortue ; si j’avais une vengeance à léguer je la lui remettrais en main.

Buat rentra.

— Nathanias le médecin et le marchand Nin-Benjamin, tous deux juifs, sont arrivés avec le Pisan Marc-Moreira. Le notaire Jéhan de Fredelas attend aussi.

— Fais entrer Nathanias d’abord, dit le vicomte.

Dès que le médecin fut entré :

— Maître, lui dit-il, je t’ai fait appeler pour te demander s’il ne te convient point de quitter la ville de Montpellier, qui, d’après ce qui s’est passé au logis de Catherine Rebuffe, n’est plus un lieu de sûreté pour toi. Si cela te plaît, et si tu n’as pas encore fait choix d’un asile, je t’offre un logement en mon château de Carcassonne avec trois cents sous de gages par an, pour que tu sois le médecin de nos hommes et de nous-mêmes, et que tu puisses les secourir en cas de blessures graves ; car, je sais que tu es grandement expert en ta science.

— Monseigneur, reprit Nathanias, le roi d’Aragon m’a fait assurer de sa protection, si l’église romaine voulait m’inquiéter pour le cas de Pierre Mauran, et je ne puis quitter Montpellier sans son mandat, et sans avoir remis en bonne santé un chétif malade qu’il m’a confié, le poète Vidal qui a été rudement maltraité par les chiens de la dame de Penaultier.

— Et penses-tu le sauver ?

— Je n’en fais nul doute, Monseigneur ; un fou, cela vit de soi ; car le mal de corps n’est rien si n’était l’âme qui vient toujours l’aiguillonner.

— Tu as raison, dit Roger pensif.

— Ainsi, dit Nathanias, nous aurions sauvé ce pauvre Mauran si n’eût été sa rage d’hérésie et les coups de bûches qu’on lui a donnés, quoiqu’il eût été cruellement maltraité par une compagnie d’infâmes routiers.

— Chien de juif, dit Buat, qui t’a permis de parler mal des routiers ?

— Je répète ce que j’ai entendu dire, répondit Nathanias tremblant.

— Ainsi, dit Roger, je ne puis compter sur toi ?

— Bien au contraire, Monseigneur, parce que je vous estime comme le plus brave et libéral chevalier de la contrée ; or j’irai par inclination et honneur, quoique ma vie soit en sûreté dans Montpellier, et que le roi d’Aragon m’ait fait offrir cinq cents sous melgoriens.

— Assez, dit Roger, je te comprends : tu es sûr d’être brûlé si tu restes à Montpellier, et Pierre d’Aragon t’a fait chasser de son palais. Je vous connais, toi et les tiens. Accepte mon affaire, ou je songerai à Samuel Ben Salomon.

 

— Samuel Ben Salomon est un ignorant, s’écria Nathanias, et Monseigneur connaît trop le prix de la vraie science.

— Allons, dit Roger, j’ajouterai deux robes fourrées à tes gages, et tu viendras.

— Quand partons-nous, Monseigneur, dit Nathanias ?

— Au point du jour. Et, du geste, Roger le congédia. En le regardant s’éloigner, il ne put s’empêcher de dire :

— C’est une singulière et inconcevable race que celle de ces hommes, qui ont tellement le mensonge et la rapacité dans le sang que rien ne puisse les en corriger. En voici un, le plus savant homme qui existe peut-être en Provence, à qui l’étude des grandes et belles sciences eût dû agrandir l’esprit et élever le cœur, et qui trafique de lui et de son savoir comme le dernier marchand d’un manteau de tiretaine. Heureusement qu’il m’a fait la leçon pour l’autre. Buat, fais entrer Nin-Benjamin.

Nin-Benjamin entra. C’était un marchand juif ; voilà son portrait. Je pense que nos lecteurs en ont lu quelques-uns dans leur vie, ne fût-ce que celui du beau poème de Scott, celui d’Ivanhoé. Dès que Nin-Benjamin fut entré, le vicomte lui dit :

— Tu as vu, en entrant ici, le Pisan Marc Moreira ? il va me signer, à l’instant, le marché que je vais te proposer si tu ne me le signes avant lui.

— Je puis faire tout ce que peut faire le Pisan Marc Moreira si ce que fait Marc Moreira est raisonnable et possible, répondit le juif.

— Tu vas en juger, dit Roger : tu possèdes, par toi ou les tiens, une immense quantité d’or dont l’emploi vous embarrasse ?

— Monseigneur se trompe, et nous sommes si pauvres depuis que l’édit du roi Philippe a chassé nos frères des terres de France, que c’est une bien vaine supposition que dire que nous possédons des monceaux d’or.

— S’il en est ainsi, dit Roger, qu’on fasse entrer Marc Moreira.

— Cependant, Monseigneur, s’écria Nin-Benjamin, il est possible que mes frères…

— Écoute, dit Roger, je n’ai pas le temps de te poursuivre dans tes détours de friponnerie ; ne m’interromps pas, et dis oui ou non quand j’aurai fini.

— J’écoute, Monseigneur.

— Vous avez des monceaux d’or, et tu sais bien, toi, que les juifs de la Provence en ont d’autant plus qu’on n’y a peu exécuté l’édit du roi Philippe qui les chasse du royaume ; mais cet or vous ne savez qu’en faire. Vous avez beau le convertir en couronnes, bracelets et joyaux, en christs et en vierges, en saints et en calices de toutes formes, il est pour vous un fardeau plus qu’une richesse, car vous n’en trouvez que rarement l’emploi, et jamais suffisamment. D’une autre part, pour l’échange de marchandises un lingot n’est pas chose facile à supputer comme une monnaie courante. Eh bien, je te donne, à partir de ce jour jusqu’à la fin de juillet prochain, qui arrive dans trois mois, je te donne mon sceau pour en frapper monnaie en or et en argent, jusqu’à telle somme qu’il te plaira, en me comptant, d’ici à une heure, une somme de cent mille sous de vingt-cinq au marc d’argent, c’est-à-dire en sous raymondiens, et en me signant un engagement pour pareille somme dans un mois.

— Deux cent mille sous, Monseigneur ; c’est folie, c’est impossible, répondit le juif avec un sourire dédaigneux.

— Appelez le Pisan Marc Moreira, dit Roger en se levant.

— Cependant, Monseigneur, si cinquante mille sous…

— Un mot de plus, et je te fais chasser à coups de fouets… va-t’en… voici Marc Moreira.

Le Juif sentait bien que l’affaire était excellente, et si on lui avait demandé quatre cent mille sous, peut-être en eût-il offert deux cent mille ; mais conclure une affaire sans marchander lui était aussi impossible que de ne pas avoir soif ou faim. Cependant, voyant que Roger s’avançait vers la porte, il dit avec désespoir :

— Eh bien ! Monseigneur, cent cinquante…

— Marc Moreira, maître Marc Moreira, dit Roger en levant lui-même la portière et en appelant le Pisan.

— Vous aurez tout, Monseigneur !… s’écria Nin-Benjamin à voix basse ; mais ne dites pas que j’ai fait cette folie.

Le juif mettait le silence comme condition à son marché, pour se dire qu’il avait attrapé quelque chose.

— C’est, dit Roger, à Moreira qui entrait, c’est notre notaire Jehan de Fredelas que je voulais d’abord appeler ; excusez, mon maître, vous allez avoir votre tour.

— Ah ! dit Nin Benjamin ; vous avez une affaire à traiter avec le Pisan : s’il s’agit d’étoffes, d’armures, de chevaux, ou de marchandises de quelque sorte qu’elles soient, nous sommes aussi bien approvisionnés que peuvent l’être tous les Pisans de Montpellier.

— Non, dit Roger, il ne s’agit en ceci ni de vendre ni d’acheter ; mais puisque tu as des armures et des chevaux, voici Buat et le sire de Cabaret qui vont l’accompagner et qui en choisiront quelques-unes pour notre compte. Maître Fredelas, approchez et faites l’acte que je vais vous dicter.

Selon la coutume pour toute affaire qui engageait les deux parties, Jehan écrivit ledit acte au haut du parchemin, et lorsqu’il fut arrivé à peu près au tiers de la hauteur, il tourna le parchemin et acheva l’acte de l’autre côté, ayant soin qu’il n’occupât aussi que le tiers de cette seconde page ; cela fait, il le recopia au bas du parchemin des deux côtés et sur le tiers aussi de chacun des deux côtés, de façon qu’entre les deux actes il restait un grand blanc. Quand les deux actes furent dûment collationnés et signés tous deux par le vicomte et Nin-Benjamin, Fredelas inscrivit sur le blanc qui restait les lettres de l’alphabet en grandes majuscules contournées, et y apposa sa signature écrite de bas en haut et de haut en bas ; puis il sépara les deux actes avec une longue paire de ciseaux, en les partageant également de façon que les lettres de l’alphabet et sa signature fussent coupées en deux, une moitié restant attachée à chaque acte, comme on fait encore de nos jours pour ce qu’on appelle les registres à talon. Les actes ainsi séparés étaient remis à chacune des parties, et lorsqu’on les produisait en justice, ils devaient se rapporter complètement, sous peine d’être déclarés nuls. Nin-Benjamin sortit pour aller préparer son paiement, et Marc Moreira fut introduit. C’était un grave personnage portant un bonnet fourré ; il avait une robe de soie flottante, une large ceinture où se glissait un mince poignard, et des bottines d’un rouge écarlate. Roger se leva pour le recevoir, et lui fit donner un siège.

— Maître, lui dit-il, je vous prie de m’excuser si je vous ai fait appeler à une heure aussi indue ; mais la nécessité a été plus forte que la convenance ; cette nécessité est même plus forte que la prudence que l’on doit garder dans l’espèce d’affaires dont je veux vous entretenir, et le mystère qu’on doit y mettre ; mais je vous sais homme d’honneur, et d’ailleurs ce que j’ai à vous proposer n’est chose nouvelle ni pour vous ni pour moi ; seulement, nous pouvons conclure aujourd’hui ensemble et dans une heure ce que mon argentier traînait en longueur depuis tantôt deux ans. Vous m’avez fait demander pour notre ville de Carcassonne le droit d’y établir les marchands de Pise. Les Arméniens, vous le savez, et les Candiens me le demandaient aussi : mais je préfère votre nation à la leur, et suis prêt à traiter avec vous, si l’indemnité que vous m’offrez est raisonnable.

— Monseigneur, dit Marc Moreira, la ville de Montpellier nous a permis de nous établir dans le second faubourg ; elle nous a donné une rue particulière fermée de chaînes et de portes pour notre sûreté en cas d’émoi et de pillage ; elle nous a en outre laissé notre droit de juridiction entre nous pour les faits où ne se sont pas mêlés des citoyens de la ville ; elle a permis encore l’établissement d’un consulat chargé de la surveillance et de la protection des marchands pisans, et pour toutes ces concessions, nous avons donné à la ville de Montpellier la somme de mille marcs d’argent fin une fois payée, et une redevance annuelle de cinquante marcs d’argent. J’en produirai le titre quand vous le voudrez.

— C’est inutile, maître, je vous connais et sais que votre parole vaut tous les écrits. Maintenant, que pouvez-vous me donner pour des avantages pareils à ceux que vous venez de me nommer ?

— Si, d’un côté, vous voulez considérer que la ville de Carcassonne est bien moins populeuse et riche que celle de Montpellier, vous penserez sans doute que la somme doit être moindre ; mais, d’une autre part, si vous voulez vous engager à ne faire ces avantages à aucune autre nation, et à n’admettre pendant dix ans ni les Arméniens, ni les Génois, ni les Candiens, à pareil traité, nous pourrons vous offrir pareille somme.

— C’est conclu, dit le vicomte ; vous ferez dresser l’acte, maître Fredelas va vous suivre. Quant au paiement, je désire qu’il me soit fait à Carcassonne, en monnaie septemne, d’aujourd’hui à un mois.

— En voulez-vous une garantie, Monseigneur ?

— Je n’ai besoin que de votre parole. Adieu, maître ; que Dieu vous conduise.

Dès qu’il fut sorti, Roger dit à Buat :

— Va, maintenant, chez ce coquin de Nin-Benjamin ; compte trois fois l’argent dans les sacs, quatre fois les sacs sur le dos des valets, et dix fois les valets, en sortant : regarde les armures à la lueur des flambeaux, et tu seras volé demain de plus deux mille sous, je te jure.

— Monseigneur, dit Buat en riant, je me souviendrai que j’ai été routier.

— Tu prendras sur cet argent ce qu’il faut pour payer ta compagnie. La foire libre te protégera quatre jours encore, et tu pourras rassembler tous tes hommes. Fais qu’ils soient équipés en gens de guerre, et non pas en brigands. Demain nous prendrons un lieu de rendez-vous.

Une heure après, Roger s’était retiré dans sa chambre, et au point du jour, armé de sa cotte de mailles, la tête découverte, le front serein et presque joyeux, Roger, accompagné d’une trentaine de chevaliers, surplus de deux cents qui relevaient de lui, sortit de la ville de Montpellier au galop de son cheval Algibek, qui s’arrêta instinctivement en passant devant la rue où était la maison de Catherine ; mais nul ne s’en aperçut, car Roger le pressa de l’éperon, et le força de continuer sa route, sans détourner seulement la tête ni interrompre la conversation qu’il avait avec Saissac.

You have finished the free preview. Would you like to read more?