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La petite comtesse

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VIII

10 octobre. Du Rozel.

Me voici rentré dans ma cellule, mon ami… Pourquoi l'ai-je quittée! Jamais homme n'a senti battre, entre ces froides murailles, un coeur plus troublé que mon misérable coeur! Ah! je ne veux pas maudire notre pauvre raison, notre sagesse, notre morale, notre philosophie humaines: n'est-ce pas ce qui nous reste encore de plus noble et de meilleur? Mais, Dieu du ciel! que c'est peu de chose! Quels guides suspects et quels faibles soutiens!

Ecoute un triste récit. – Hier, grâce à madame de Malouet, je restai seul au château tout le jour et toute la soirée. Je fus donc tranquille autant que je pouvais l'être. Vers minuit, j'entendis revenir les voitures, et bientôt après tout bruit cessa. Il était, je crois, trois heures du matin quand je fus tiré de l'espèce de torpeur fébrile qui me tient lieu de sommeil depuis quelques nuits, par le bruit très-rapproché d'une porte qu'on semblait ouvrir ou refermer dans la cour avec précaution. Je ne sais par quelle bizarre et soudaine liaison d'idées un incident si ordinaire attira mon attention et m'agita l'esprit. Je quittai brusquement le fauteuil dans lequel je m'étais assoupi, et je m'approchai d'une fenêtre: je vis distinctement un homme qui s'éloignait d'une allure discrète dans la direction de l'avenue. Il me fut facile de juger que la porte par laquelle il venait de sortir était celle qui donne accès dans l'aile du château contiguë à la bibliothèque. Cette partie de l'habitation contient plusieurs appartements consacrés aux hôtes de passage; je savais qu'ils étaient tous vides en ce moment, – à moins que madame de Palme, comme il arrivait souvent, n'eût pris pour la nuit le logement qui lui était toujours réservé dans ce pavillon.

Tu devines quelle étrange pensée me traversa le cerveau. Tantôt je la repoussais comme un épouvantable folie; tantôt, retrouvant, dans le champ d'une expérience déjà longue, des faits d'observation qui prêtaient de la vraisemblance à cette pensée, je l'accueillais avec une sorte d'ironie cynique, et j'aimais presque à l'admettre comme un dénoûment odieux mais décisif. – La première clarté de l'aube m'a surpris livré à ces angoisses mentales, évoquant mes souvenirs, examinant puérilement les circonstances les plus minutieuses qui pouvaient tendre à confirmer ou à détruire mes soupçons. J'ai dû enfin à l'excès de fatigue deux heures d'une accablement dont je suis sorti plus maître de ma raison. Je n'ai pu douter à mon réveil de l'apparition qui avait frappé mes yeux pendant la nuit; mais il m'a semblé que je l'avais interprétée avec une hâte folle, et que mon esprit malade lui avait attribué l'explication la moins vraisemblable. En supposant enfin que mes pires pressentiments dussent se trouver justifiés, j'avais lieu assurément de me sentir l'âme profondément attristée devant un témoignage si douloureux, si impudent, de la mobilité et de la perversité d'un coeur de femme; mais j'avais perdu tout droit de m'en montrer offensé: le plus vulgaire sentiment de dignité me faisait un devoir de l'indifférence, au moins apparente. S'il était possible qu'on eût cherché contre moi une vengeance à un tel prix, on n'en lirait pas du moins le succès sur mon visage. Quant à ma souffrance, je me disais, je me répétais que mon départ et mon éloignement lui enlèveraient bientôt ce qu'elle aurait de plus aigu et de plus insupportable.

Je suis descendu à dix heures et demie, comme de coutume. Madame de Palme était dans le salon: elle avait donc passé la nuit au château. Cependant, il m'a suffi de la voir pour perdre l'ombre même du soupçon. Elle causait d'un air tranquille au milieu d'un groupe. Elle m'a salué de son doux sourire habituel. Je me suis senti délivré d'un poids immense. J'échappais à un tourment d'une nature si pénible et si amère, que l'impression franche de ma douleur primitive, dégagée des honteuses complications dont j'avais pu la croire aggravée, me semblait presque aimable. Jamais mon coeur n'avait rendu à cette jeune femme un hommage plus tendre et plus ému. Je lui savais gré du fond de l'âme d'avoir rendu la pureté à ma blessure et à mon souvenir.

L'après-midi devait être consacrée à une promenade à cheval sur les bords de la mer. Dans l'effusion de coeur qui succédait aux anxiétés de la nuit, je me rendis très-volontiers aux instances de M. de Malouet, qui, s'appuyant de mon départ prochain, me pressait de l'accompagner à cette partie de plaisir. Notre cavalcade, recrutée, selon l'usage, de quelques jeunes gens des environs, sortait vers deux heures de la cour du château. Nous cheminions joyeusement depuis quelques minutes, et je n'étais pas le moins gai de la bande, quand madame de Palme est venue subitement se placer à côté de moi.

– Je vais commettre une lâcheté, a-t-elle dit; je m'étais pourtant bien promis… mais j'étouffe!

Je l'ai regardée: l'expression égarée de ses traits et de ses yeux m'a soudain frappé d'effroi.

– Eh bien, a-t-elle repris d'une voix dont je n'oublierai jamais l'accent, vous l'avez voulu:… je suis une femme perdue!

Aussitôt elle a poussé son cheval et m'a quitté, me laissant atterré sous ce coup d'autant plus sensible que j'avais cessé de le craindre, et qu'il m'atteignait avec un raffinement que je n'avais pas même prévu. Il n'y avait eu, en effet, dans la voix de la malheureuse femme aucune trace d'insolente fanfaronnade: c'était la voix même du désespoir, un cri de douleur navrante et de timide reproche, – tout ce qui pouvait ajouter dans mon âme à la torture d'un amour souillé et brisé le désordre d'une pitié profonde et d'une conscience alarmée.

Quand j'ai eu la force de regarder autour de moi, je me suis étonné de mon aveuglement. Parmi les courtisans les plus assidus de madame de Palme figure un M. de Mauterne, dont l'éloignement pour moi, quoique contenu dans les limites du savoir-vivre m'a souvent paru revêtir une teinte presque hostile. M. de Mauterne est un homme de mon âge, grand, blond, d'une élégance plus robuste que distinguée, et d'une beauté régulière mais fade et empesée. Il a les talents du monde, beaucoup d'entreprises et nul esprit. Son air et sa conduite, dans le cours de cette fatale promenade, m'eussent appris dès le début, si j'avais eu l'idée de les observer, qu'il se croyait le droit de ne redouter désormais aucune rivalité près de madame de Palme. Il s'attribuait franchement le premier rôle dans toutes les scènes auxquelles elle se trouvait mêlée; il l'accablait de soins avec une mine importante et discrète; il affectait de lui parler à voix basse, et ne négligeait rien enfin pour initier le public au secret de sa faveur. A cet égard, il perdait ses peines: le monde, après avoir épuisé sa méchanceté sur des fautes imaginaires, semble jusqu'ici se refuser à l'évidence qui provoque vainement ses regards.

Pour moi, mon ami, il m'est difficile de te peindre le chaos d'émotions et de pensées qui se heurtaient et se confondaient en moi. Le sentiment qui me dominait peut-être avec le plus de violence, c'était celui de ma haine contre cet homme, d'un haine implacable, – d'une haine éternelle. J'étais, au reste, plus choqué, plus désolé que surpris du choix qu'on avait fait de lui; c'était le premier venu; on l'avait pris avec une sorte d'indifférence et de dédain, comme on ramasse une arme de suicide, lorsque le suicide est une fois résolu. – Quant à mes sentiments pour elle, tu les devines: nulle apparence de colère, une affreuse tristesse, une compassion attendrie, un remords vague, et par-dessus tout un regret passionné, furieux! Je savais enfin combien je l'avais aimée! Je comprenais à peine les raisons qui, deux jours auparavant, me semblaient si fortes, si impérieuses, et qui m'avaient paru établir entre elle et moi une barrière infranchissable. Tous ces obstacles du passé disparaissaient devant l'abîme présent, qui me semblait le seul réel, – le seul impossible à combler, le seul qui eût existé jamais! – Chose étrange! Je voyais clairement, aussi clairement qu'on voit le soleil, que l'impossible, l'irréparable était là, et je ne pouvais l'accepter… je ne pouvais m'y résigner! Je voyais cette femme perdue pour moi aussi irrévocablement que si la tombe eût été fermée sur son cercueil, et je ne pouvais renoncer à elle!.. Mon esprit s'égarait alors dans des projets, dans des résolutions insensées: je voulais chercher querelle à M. de Mauterne, le forcer à se battre sur l'heure… Je sentais que je l'aurais écrasé… Puis je voulais m'enfuir avec elle, l'épouser, la prendre avec sa honte après l'avoir refusée pure!.. Oui, cette démence m'a tenté! Pour l'écarter de ma pensée, j'ai dû me répéter cent fois que le dégoût et le désespoir étaient les seuls fruits que pût porter jamais cette union d'une main flétrie et d'une main sanglante… Ah! Paul, que j'ai souffert!

Madame de Palme a montré, pendant toute la durée de la promenade, une surexcitation fiévreuse qui se trahissait surtout par de folles prouesses d'équitation. J'entendais par intervalles les éclats de sa gaieté exaltée qui résonnaient à mon oreille comme des plaintes déchirantes. Une seule fois encore, elle m'a adressé la parole en passant près de moi:

– Je vous fais horreur, n'est-ce pas? m'a-t-elle dit.

J'ai secoué la tête et j'ai baissé les yeux sans lui répondre.

Nous sommes rentrés au château vers quatre heures. Je gagnais ma chambre, quand un tumulte confus de voix, de cris et de pas précipités sous le vestibule m'a glacé le coeur. Je suis redescendu à la hâte; on m'a dit que madame de Palme venait de tomber dans une violente crise nerveuse. On l'avait portée dans le salon. J'ai reconnu à travers la porte la voix douce et grave de madame de Malouet, à laquelle se mêlait je ne sais quel vagissement pareil à celui d'un enfant malade. – Je me suis enfui.

J'étais décidé à quitter sans retard ce lieu de malheur. Rien n'eût pu m'y retenir un instant de plus. Ta lettre, qu'on m'avais remise au retour, m'a servi à colorer d'un prétexte vraisemblable mon départ improvisé. On connaît ici l'amitié qui nous lie. J'ai dit que tu avais besoin de moi dans les vingt-quatre heures. J'avais eu soin, à toute occurrence, de faire venir depuis trois jours une voiture et des chevaux de la ville la plus proche. En quelques minutes, mes préparatifs ont été achevés; j'ai donné au cocher l'ordre de partir en avant et d'aller m'attendre à l'extrémité de l'avenue, pendant que je ferais mes adieux. – M. de Malouet m'a paru n'avoir aucun soupçon de la vérité: le bon vieillard s'est attendri en recevant mes remercîments, et m'a réellement témoigné une affection singulière et sans proportion avec la brève durée de nos relations. J'ai à peine eu moins à me louer de M. de Breuilly. Je me reproche la caricature que je t'ai donnée un jour pour le portrait de ce noble coeur.

 

Madame de Malouet a voulu m'accompagner dans l'avenue quelques pas plus loin que son mari; je sentais son bras trembler sous le mien, pendant qu'elle me chargeait de quelques commissions indifférentes pour Paris. Au moment où nous allions nous séparer et comme je serrais sa main avec effusion elle m'a retenu doucement.

– Eh bien, monsieur, m'a-t-elle dit d'une voix presque éteinte, Dieu n'a point béni notre sagesse!

– Madame, nos coeurs lui sont ouverts;… il a dû lire notre sincérité… Il voit ce que je souffre; d'ailleurs, j'espère humblement qu'il me pardonne.

– N'en doutez pas… n'en doutez pas, a-t-elle repris d'un accent brisé. Mais elle! elle!.. Ah! pauvre enfant!

– Ayez pitié d'elle, madame. Ne l'abandonnez pas. Adieu!

Je l'ai quittée à la hâte, et je suis parti; mais, au lieu de m'acheminer vers le bourg de ***, je me suis fait conduire sur la route de l'abbaye jusqu'au haut des collines; j'ai prié le cocher d'aller seul au bourg et de revenir me prendre demain de grand matin à la même place. Mon ami, je ne puis t'expliquer la tentation bizarre et irrésistible qui m'a pris de passer une dernière nuit dans cette solitude où j'ai été si tranquille, si heureux, et il y a si peu de temps, mon Dieu!

Me voici donc dans ma cellule. Qu'elle me paraît froide, sombre et triste! Le ciel aussi s'est mis en deuil. Depuis mon arrivée dans ce pays et malgré la saison, je n'avais vu que des jours et des nuits d'été. Ce soir, un glacial ouragan d'automne s'est déchaîné sur la vallée; le vent siffle dans les ruines et en arrache des fragments qui tombent lourdement sur le sol. Une pluie violente bat mes vitraux. Il me semble qu'il pleut des larmes!

Des larmes! j'en ai le coeur rempli… et pas une ne veut monter jusqu'à mes yeux! – J'ai prié pourtant, j'ai prié Dieu longuement, – non pas, mon ami, ce Dieu insaisissable que nous poursuivons vainement au delà des étoiles et des mondes, mais le seul Dieu vraiment secourable aux affligés, le Dieu de mon enfance, – le Dieu de cette pauvre femme!

Ah! je ne veux plus songer qu'à mon retour près de toi. Après-demain, mon ami, et peut-être avant que cette lettre

Viens, Paul! Si tu peux quitter ta mère, viens, je t'en supplie, viens me soutenir. Dieu me frappe!

J'écrivais cette ligne interrompue, quand, au milieu des bruits confus de la tempête, mon oreille a cru saisir le son d'une voix, d'une plainte humaine. Je me suis jeté à ma fenêtre; je me suis penché au dehors pour percer les ténèbres, et j'ai entrevu sur le sol noir et inondé une forme vague, une sorte de paquet blanchâtre. En même temps, un gémissement plus distinct est monté jusqu'à moi. – Une lueur de la terrible vérité m'a traversé l'esprit comme une lame aiguë. – J'ai gagné dans la nuit la porte du moulin; près du seuil, j'ai vu un cheval abandonné; il portait une selle de femme. Je me suis précipité en courant vers l'autre face des ruines, et, dans le clos qui est situé sous la fenêtre de ma cellule et qui garde encore des traces de l'ancien cimetière des moines, j'ai trouvé l'infortunée. Elle était là, assise et comme écrasée sur une vieille dalle tumulaire, grelottant de tous ses membres sous les torrents d'eau glacée qu'un ciel impitoyable versait sans relâche sur sa légère toilette de fête. J'ai saisi ses deux mains, essayant de la relever.

– Ah! malheureuse enfant! qu'avez-vous fait? ah! malheureuse!

– Oui, bien malheureuse! a-t-elle murmuré d'une voix faible comme un souffle.

– Mais vous vous tuez!

– Tant mieux!.. tant mieux!

– Vous ne pouvez rester là!.. Venez!..

J'ai vu qu'elle était hors d'état de se soutenir.

– Ah! Dieu bon! Dieu puissant! que faire?.. Qu'allez-vous devenir maintenant? Que voulez-vous de moi?..

Elle n'a pas répondu. Elle tremblait, et ses dents se heurtaient. Je l'ai enlevée dans mes bras et je l'ai emportée. On réfléchit vite dans de tels instants. Aucun moyen imaginable pour la faire sortir de cette vallée, où les voitures ne peuvent pénétrer. Rien n'était désormais possible pour sauver son honneur; il ne fallait plus songer qu'à la vie. J'ai gravi rapidement les degrés de ma cellule, et je l'ai déposée dans un fauteuil près du foyer, que j'ai rallumé à la hâte; puis j'ai réveillé mes hôtes. J'ai donné à la meunière une explication vague et confuse. Je ne sais ce qu'elle en a compris, mais c'est une femme, elle a eu pitié. Elle a rendu à madame de Palme les premiers soins. Son mari est parti aussitôt à cheval, portant à la marquise de Malouet ce billet de ma main:

"Madame,

"Elle est ici, mourante. Au nom du Dieu de miséricorde, je vous invoque, je vous conjure… Venez consoler, venez bénir celle qui ne peut plus attendre que de vous en ce monde des paroles de bonté et de pardon.

"Veuillez dire à madame de Pontbrian ce que vous jugerez nécessaire."

Elle me demandait. Je suis retourné près d'elle. Je l'ai trouvée encore assise devant le feu. Elle n'avait pas voulu se laisser mettre dans le lit qu'on lui avait préparé. En m'apercevant, – singulière préoccupation de femme! – sa première pensée a été pour le costume de paysanne contre lequel elle venait d'échanger ses vêtements imprégnés d'eau et souillés de boue.

Elle s'est mise à rire en me le montrant; mais son rire s'est tourné presque aussitôt en convulsions que j'ai eu de la peine à calmer.

Je m'étais placé près d'elle: elle ne pouvait se réchauffer; elle avait une horrible fièvre; ses yeux étincelaient. Je l'ai suppliée de consentir à prendre le repos complet qui convenait seul à son état.

– A quoi bon? m'a-t-elle dit. Je ne suis pas malade. Ce qui me tue, ce n'est pas la fièvre; ce n'est pas le froid, c'est la pensée qui me brûle là (elle se frappait le front); c'est la honte, – c'est votre mépris et votre haine, – bien mérités maintenant!

Mon coeur a éclaté, Paul; je lui ai dit tout, ma passion, mes regrets, mes remords! J'ai couvert de baisers ses mains tremblantes, son front glacé, ses cheveux humides… J'ai répandu dans sa pauvre âme brisée tout ce que l'âme d'un homme peut contenir de tendresse, de pitié, d'adoration! Elle a su que je l'aimais; elle n'a pu en douter!

Elle m'a écouté avec ravissement.

– C'est maintenant, m'a-t-elle dit, c'est maintenant qu'il ne faut pas me plaindre. Jamais je n'ai été si heureuse de ma vie. Je ne méritais pas cela… Je ne puis rien souhaiter de plus… rien espérer de mieux;… je ne regretterai rien.

Elle s'est assoupie. Ses lèvres entr'ouvertes ont un sourire pur et paisible; mais elle est prise par intervalle de tressaillements terribles, et ses traits s'altèrent profondément.

Je la veille en t'écrivant.

Madame de Malouet vient d'arriver avec son mari. Je l'avais bien jugée! Sa voix et ses paroles ont été d'une mère. Elle avait eu soin d'amener son médecin. La malade est couchée dans un bon lit, entourée, aimée. Je suis plus tranquille, quoique un délire effrayant se soit déclaré à son réveil.

Madame de Pontbrian a refusé absolument de venir auprès de sa nièce. Elle aussi, je l'avais bien jugée, l'excellente chrétienne!

Je me suis fait le devoir de ne plus mettre le pied dans la cellule, que madame de Malouet ne quitte plus. La contenance de M. de Malouet m'épouvante, et cependant il m'assure que le médecin ne s'est pas encore prononcé.

_______________

Le médecin est sorti. J'ai pu lui parler.

– C'est, m'a-t-il dit, une fluxion de poitrine compliquée d'une fièvre cérébrale.

– Cela est bien grave, n'est-ce pas?

– Très-grave.

– Mais le danger est-il immédiat?

– Je vous le dirai ce soir. L'état est si violent, qu'il ne peut durer longtemps. Il faut que la crise s'atténue ou que la nature cède.

– Vous n'espérez rien, monsieur?

Il a regardé le ciel et s'est éloigné.

Je ne sais pas ce qui se passe en moi, mon ami… Tous ces coups se succèdent si vite! C'est la foudre.

Cinq heures du soir.

On a mandé à la hâte le prêtre que j'ai souvent rencontré au château. C'est un ami de madame de Malouet, un vieillard simple et plein de charité. Il est sorti un instant de cette chambre funeste; je n'ai osé l'interroger. J'ignore ce qui se passe. Je redoute de l'apprendre, et cependant mon oreille recueille avidement les moindres bruits, les sons les plus insignifiants: une porte qui se ferme, un pas plus rapide dans l'escalier, me frappent de terreur.

Pourtant… si vite! C'est impossible!

________

Paul! mon ami… mon frère! Où es-tu?.. Tout est fini!

Il y a une heure, j'ai vu descendre le médecin et le prêtre.

M. de Malouet les suivait.

– Montez, m'a-t-il dit. Allons! du courage, monsieur. Soyez homme.

Je suis entré dans la cellule: madame de Malouet y était demeurée seule; elle était à genoux près du lit, et m'a fait signe de m'approcher.

J'ai regardé celle qui allait cesser de souffrir. Quelques heures avaient suffi pour empreindre tous les ravages de la mort sur ce visage charmant; mais la vie et la pensée rayonnaient encore dans ses yeux: elle m'a reconnu aussitôt.

– Monsieur… m'a-t-elle dit.

Puis, se reprenant après une pause:

– George, je vous ai bien aimé. Pardonnez-moi d'avoir empoisonné votre vie de ce triste souvenir!

Je suis tombé sur mes genoux; j'ai voulu parler, je ne le pouvais pas; mes larmes coulaient brûlantes sur sa main déjà inerte et froide comme un marbre.

– Et vous aussi, madame, a-t-elle repris, pardonnez-moi la peine… le mal que je vous fais!

– Mon enfant! a dit la vieille dame, je vous bénis du fond du coeur.

Puis il y a eu un silence, au milieu duquel j'ai entendu tout à coup un soupir profond et brisé… Ah! ce soupir suprême, ce dernier sanglot d'une mortelle douleur, Dieu aussi l'a entendu, il l'a recueilli!

Il l'a entendu!.. il entend aussi ma prière ardente, éplorée!.. il faut que je le croie, mon ami. Oui, pour ne pas céder en ce moment à quelques tentation de désespoir, il faut que je croie fermement à un Dieu qui nous aime, qui voit d'un oeil attendri les déchirements de nos faibles coeurs… qui daignera un jour de sa main paternelle refaire les noeuds brisés par la cruelle mort!.. Ah! devant la dépouille inanimée d'un être adoré, quel coeur assez desséché, quel cerveau assez flétri par le doute pour ne pas repousser à jamais l'odieuse pensée que ces mots sacrés: Dieu, justice, amour, immortalité, ne sont que de vaines syllabes qui n'ont point de sens!

Adieu, Paul. Tu sais ce qui me reste à faire. Si tu peux venir, je t'attends; sinon, mon ami, attends-moi. Adieu.