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L'Anticléricalisme

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Ce jour-là, et il fut très bien compris, M. Jaurès dirigeait le parti anticlérical vers la séparation de l'Église et de l'État, considérée elle-même comme un épisode de la guerre sans merci à la religion chrétienne.

A la vérité, la séparation de l'Église et de l'État était un très ancien article du programme républicain. La Convention, comme on a vu plus haut, l'avait établie, par lassitude, il est vrai, de la Constitution civile du clergé; elle avait été réclamée en 1830 et en 1848 par une fraction du parti républicain; et, sous l'Empire, surtout par esprit d'opposition à l'occupation de Rome par les troupes françaises, elle était à son rang dans les manifestes du parti démocratique. Sous la troisième République, un grand nombre de républicains et quelques hommes aussi qui ne l'étaient point, tenaient la séparation pour souhaitable. Peu de propositions parlementaires, cependant, à ma connaissance, furent faites en ce sens. La première que je connaisse et, en tout cas, la première qui ait eu quelque retentissement ou plutôt à qui l'on ait fait attention, est celle de M. Holtz, député de la Seine, en janvier 1901. Il déposa un projet de résolution portant qu'aussitôt après la promulgation de la loi sur les associations (loi Waldeck), la Chambre poursuivrait la séparation des Églises et de l'État. Mais le temps n'était pas venu. Le parti anticlérical était alors concordataire ou affectait de l'être, ayant appris quelque peu l'art de «sérier les questions». Le parti radical resta insensible. M. Brisson, M. Trouillot s'abstinrent. M. Léon Bourgeois vota même contre la proposition, qui n'obtint que 146 voix contre 328.

Il est vrai qu'immédiatement après, M. Gauthier (de Clagny), voulant faire comme confirmer et renforcer ce vote et ayant proposé une résolution par laquelle l'Assemblée s'engageait à «maintenir le Concordat», sa proposition fut repoussée par 261 voix contre 246. Il n'y avait pas là précisément incohérence et il ne faudrait pas dire que la Chambre manifesta le même jour son désir de maintenir le Concordat et de le supprimer. La vérité est que l'Assemblée repoussait une manifestation de gauche et une manifestation de droite, ce qui était une manière de rester et d'indiquer qu'elle voulait rester dans le statu quo; et cette attitude était encore concordataire, sans l'être passionnément; et tel était bien l'état d'âme de l'Assemblée de 1898-1902.

Celle de 1902 eut un esprit un peu différent. Non pas que les élections eussent marqué aucunement un esprit anticoncordataire. A peine une centaine de candidats – et qui ne furent pas tous élus – avaient mis la séparation de l'Église et de l'État dans leurs professions de foi. Mais l'assemblée populaire de 1902 était un peu plus radicale que celle de 1898 et, de plus, M. Waldeck-Rousseau, très concordataire et même très conservateur, avait choisi M. Combes pour la diriger.

A la vérité, M. Combes n'était pas anticoncordataire, lui non plus, en 1902, et il n'avait pas soufflé mot dans son discours-programme de la séparation de l'Église et de l'État; mais il est de ces hommes qui vont devant eux beaucoup plus loin qu'ils ne veulent aller, par emportement et colère, comme M. Waldeck était de ceux qui vont beaucoup plus loin qu'ils ne veulent aller, parce qu'ils ne savent pas où ils veulent aller, sachant seulement où ils veulent parvenir.

Tant y a qu'une certaine agitation s'étant produite dans quelques églises de Paris à propos d'anciens congréganistes qui y prêchaient, les anticléricaux ayant d'abord frappé les fidèles, puis ayant été vigoureusement corrigés à leur tour, et le gouvernement ayant supprimé le traitement des curés de ces églises, il y eut à la Chambre interpellation et proposition, faite par M. Massé et M. Hubbard, de séparation de l'Église et de l'État (mai 1903).

Les interpellateurs eux-mêmes, MM. Gayraud, républicain catholique, M. X. Reille, M. de Grandmaison, M. Grousseau (de même nuance) reconnaissaient que la conduite du gouvernement depuis un an menait droit à la séparation et que, sans en être partisans, ils s'y résignaient sans crainte. M. Combes parla. Pour la première fois, il laissa entrevoir la séparation comme pouvant entrer dans les prévisions des hommes politiques. Il se plaignit de la rébellion de l'Église; il exprima cette idée que le Concordat n'avait pas donné à l'État des armes suffisantes contre l'Église et il envisagea la séparation comme possible en s'exprimant ainsi: «Devant le spectacle de cette rébellion, l'opinion publique s'interroge avec inquiétude et, pour peu que ce spectacle se prolonge, elle sera fatalement amenée à rejeter sur le Concordat la responsabilité d'un état de choses où les écarts de conduite sont encouragés par l'insuffisance même des moyens de répression. L'opinion sera ainsi amenée à considérer que le Concordat de 1801 a fait son temps, et à envisager une de ces deux solutions: ou bien la séparation de l'Église et de l'État…»

On l'interrompit, on lui cria: «des Églises!» Il en profita pour bien montrer que ce qu'il désirerait, le cas échéant, c'était bien la séparation d'avec l'État de l'Église catholique seule, de telle sorte que l'Église protestante et l'Église juive devinssent religions d'État et l'Église catholique religion privée; car il reprit ainsi: «… de l'Église catholique et de l'État; ou bien, si elle pense que cette séparation n'a pas été suffisamment préparée, à une révision sérieuse et efficace des règlements sur la police des cultes.»

La Chambre n'accepta point la proposition tendant à la séparation et vota un ordre du jour conciliateur de M. Étienne; mais la question était posée et le gouvernement, pour la première fois, avait eu un sourire favorable pour la séparation.

S'il n'avait pas été plus loin, c'est que le parti républicain, comme tous les autres, du reste, était divisé sur cette question et d'ailleurs, comme tous les autres, l'est encore. Il y a des républicains antiséparatistes; il y a des libéraux antiséparatistes et il y a des réactionnaires séparatistes. Les républicains séparatistes sont des autoritaires qui ne prennent la séparation que pour une mesure de spoliation à l'égard de l'Église (suppression du budget des cultes) et pour une mesure qui permettra de traiter l'Église séculière comme on a traité l'Église régulière, en s'appuyant sur les mêmes arguments. Pour eux, la séparation est une préface de l'extermination.

Les républicains antiséparatistes (M. Thézard par exemple, dans un remarquable discours prononcé devant ses commettants en août 1903 et qu'il a repris en le développant devant le Sénat en novembre 1905) sont des autoritaires aussi, fidèles à la conception napoléonienne et qui se disent que la séparation, c'est, quoi qu'on fasse, la liberté et qu'avec la liberté on ne sait jamais ce qui peut arriver; que la séparation, quelque complétée qu'elle puisse être par toutes les mesures possibles d'extermination, commence toujours par mettre l'Église hors des mains de l'État et que cela seul est déjà dangereux; que mieux vaut garder un esclave enchaîné que l'affranchir en se promettant de l'assommer ensuite. Ces considérations n'ont jamais été sans faire hésiter un peu les plus séparatistes des républicains.

Les libéraux antiséparatistes (M. Ribot) sont des hommes qui, d'une part, n'aiment jamais les résolutions extrêmes et qui, d'autre part, savent très bien qu'une séparation ne pourrait être libérale que faite par eux, et que faite par des radicaux, elle n'est qu'une mesure de guerre ajoutée à d'autres et devant être suivie par d'autres indéfiniment; et que, par conséquent, il n'y a que des raisons théoriques et il n'y a aucune raison pratique à affranchir l'esclave pour qu'il soit assommé le lendemain.

Les libéraux séparatistes, dont je suis, n'ont pas la naïveté de croire qu'une séparation faite par des républicains despotistes puisse être à arrière-pensée libérale et sont parfaitement convaincus qu'elle est toujours à arrière-pensée d'écrasement. Seulement ils croient que, même organisée contre la religion et destinée à être complétée dans le même sens, la séparation vaut mieux que la domestication, parce qu'elle est la liberté, la liberté très menacée, mais encore la liberté. Ils disent: «Malo periculosam libertatem.» Ils croient que dans cette liberté même périlleuse, que dans cette liberté de combat, l'Église puisera des forces nouvelles et qui sont celles mêmes qui font qu'une Église est vivante. En un mot, ils croient qu'une Église est une force autonome, indépendante de l'État, ou qu'elle n'est rien. Ils croient encore que l'Église indépendante de l'État, même tourmentée, même persécutée, suscitera à l'État, sans même le vouloir, mais parce que l'État en France sera toujours autoritaire, de tels embarras, lui donnera de telles impatiences, que lui-même en reviendra, comme en 1801, à désirer passionnément un Concordat, ce qu'ils ne souhaitent pas, mais ce qu'ils prévoient. En somme, ils raisonnent exactement, pour conclure à la séparation, comme les républicains antiséparatistes pour la repousser.

Et enfin les réactionnaires séparatistes raisonnent comme les libéraux séparatistes, pendant que les réactionnaires antiséparatistes, timorés ou prudents, traitent leurs amis séparatistes de «risquons-tout» et de «casse-cou».

Voilà quel est encore, voilà quel était en mai 1903 l'état des partis dans cette question.

Il y avait donc hésitation un peu partout. Que les républicains en sortissent, cela dépendait du gouvernement; car M. Combes inspirait une extraordinaire confiance à un parti peu intelligent, peu réfléchi et que la violence d'attitudes et de paroles séduit presque toujours. Or M. Combes, très peu séparatiste au début de son ministère, très peu séparatiste encore en mai 1903, comme on vient de le voir, inclina très rapidement vers la séparation, comme un homme que mènent les circonstances interprétées par un tempérament colérique. Il eut avec la cour de Rome quelques démêlés qu'un gouvernement conciliant ou simplement maître de soi, non seulement aurait résolus en quelques minutes, mais même aurait considérés comme n'existant pas; car en vérité ils n'étaient que de très légers dissentiments. Deux évêques, M. Geay, évêque de Laval, M. Le Nordez, évêque de Dijon, étaient agréables au gouvernement français et suspects, soit pour leur conduite privée, soit pour leur administration, à la Curie. De Rome on avertit M. Le Nordez de se démettre de ses fonctions. La lettre romaine fut communiquée par l'évêque au gouvernement français, qui protesta auprès du Saint-Siège, alléguant que, d'après le Concordat, les nominations des évêques devant être faites par le gouvernement français, sauf institution canonique réservée au Saint-Siège, il en devait être des révocations comme des nominations et que le Saint-Siège n'avait pas le droit de déposer un évêque français. Exactement la même procédure avait été suivie à l'égard de M. Geay et exactement les mêmes protestations, relativement à l'affaire de M. Geay, étaient faites par le gouvernement français. En même temps, ordre était donné par le gouvernement français et à M. Geay et à M. Le Nordez d'avoir à ne pas quitter leurs postes.

 

Le sous-secrétaire d'État romain répondit qu'autre chose était une déposition d'évêque et un avertissement donné à un évêque de se démettre pour un temps de ses fonctions et de venir s'expliquer et se justifier devant la Curie romaine; que de pareils avertissements étaient du droit du Saint-Siège, devant qui les évêques, canoniquement institués par lui, étaient toujours responsables. La question était discutable et évidemment, avec un peu de diplomatie et de temporisation, était susceptible d'arrangement.

Le gouvernement français fut cassant, brusqua les choses, rappela l'ambassadeur français et remit ses passeports au nonce. C'était la guerre déclarée.

Les deux évêques, qui avaient eu jusqu'alors à choisir entre l'obéissance à l'égard du gouvernement français et l'obéissance à l'égard du Saint-Siège, se décidèrent pour celle-ci, partirent furtivement pour Rome, se soumirent à la Curie et donnèrent leur démission d'évêques français.

M. Combes vit dans tout cela des motifs suffisants, non seulement pour rompre toutes relations diplomatiques avec le Saint-Siège, mais encore pour dénoncer le Concordat et pour séparer l'Église de l'État, en rejetant formellement – il l'a fait vingt fois – toute la responsabilité de ces graves mesures sur le gouvernement pontifical.

Aussi, dès le 4 septembre, discourant à Auxerre, il fit cette déclaration importante qu'il croyait sincèrement «que le parti républicain, éclairé enfin pleinement par l'expérience des deux dernières années, accepterait sans répugnance la pensée du divorce entre l'Église et l'État». La proposition de séparation de l'Église et de l'État était déposée devant le peuple.

Elle le fut deux mois après (10 novembre) sur le bureau de la Chambre des députés. Quelque opinion que l'on puisse avoir sur le fond de la question, il y a certainement à affirmer que la responsabilité de la séparation ne doit pas être rejetée sur Rome et que cette mesure a été engagée sur les plus futiles motifs, s'il ne faut pas dire sans motifs, et avec une précipitation qui sent la colère infantile.

Ce n'est pas que les avertissements fermes en même temps que respectueux eussent manqué à M. Combes et à M. Delcassé, ministre des affaires étrangères. A propos d'un premier rappel de notre ambassadeur accrédité auprès du pape, M. Ribot avait approuvé cette mesure en tant que provisoire, mais il avait montré les dangers d'une rupture qui fût définitive avec le Saint-Siège et, envisageant cette escarmouche comme le prélude de la séparation de l'Église et de l'État, il avait manifesté ses inquiétudes patriotiques: «Les gouvernements étrangers… peuvent chercher à profiter d'une brouille un peu prolongée entre le Saint-Siège et le gouvernement français pour se faire accorder quelques avantages ou opérer quelque demi-réconciliation à nos dépens. Je ne saurais, quant à moi, leur en vouloir: ils font leur métier de gouvernements. C'est à nous à ne point nous prêter bénévolement à ce que ce malentendu, cette brouille, qui, je l'espère, sera aussi courte que possible, puisse donner à nos concurrents dans le monde des avantages qu'il vaut mieux garder pour nous… J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt le discours de l'honorable M. Briand. Il m'a charmé par certains côtés, je le dis sans ironie. M. Briand fait en moment-ci un travail que je serai le premier à discuter dans un esprit très large, parce que notre collègue est en train de découvrir et de nous montrer les difficultés d'une question qu'on présente depuis trente ans sous une forme trop simplifiée – il l'a dit lui-même – aux électeurs, en risquant ainsi de les tromper. Il est en train de découvrir les difficultés du problème de la séparation de l'Église et de l'État. Nous avons peut-être sur M. Briand cet avantage que nous les avons découvertes avant lui… Quand le moment sera venu, je montrerai à quelles conditions on peut s'acheminer vers une indépendance plus grande de l'Église et de l'État, et nous discuterons à fond sur tous ces points. La seule chose que je retienne et sur laquelle nous sommes d'accord maintenant (?), c'est que ce serait une folie et une folie criminelle de vouloir procéder à une rupture violente avec le Saint-Siège et de décréter la séparation sans avoir préparé les esprits par toutes les mesures nécessaires. Gambetta, quand on lui parlait de la séparation de l'Église et de l'État, avait coutume de dire: «Oh! Ce serait la fin de tout.» Il me semble que vous commencez à comprendre que ce serait au moins la fin d'une foule de choses auxquelles je tiens et auxquelles nous devons tous tenir. Ce serait la fin de ce qui reste de paix religieuse dans ce pays, et c'est pourquoi vous êtes prudents, vous n'êtes que prudents, en demandant des délais, en ne voulant pas tirer des conséquences imprévues, en ne demandant pas la rupture définitive avec le Saint-Siège…» (27 mai 1904.)

Et sur la rupture, qui précisément devait être définitive, M. Ribot parlait ainsi cinq mois après. Il s'attachait surtout à démontrer que c'était un sophisme que de prétendre que le Saint-Siège était responsable de la rupture: «… Vous pouviez prendre un de ces moyens qui, tout en maintenant avec la dernière fermeté les droits de la France, ne compromettent pas tout, ne brisent pas tout en une heure. Mais, vous venez de le dire vous-même à la tribune, vous avez donné vingt quatre heures au pape pour vous répondre. Vous avez voulu la rupture. J'ai le droit de le dire, la précipitation avec laquelle vous l'avez opérée ne laisse aucun doute sur le but que vous poursuiviez. Vous vouliez la séparation de l'Église et de l'État; c'était votre nouvelle politique, qui avait pris naissance il y a quelques jours à peine, et il vous fallait comme préface et comme prétexte à cette séparation dont vous étiez désormais le partisan, il vous fallait une rupture publique, officielle avec Rome, et alors vous avez tout pressé, vous avez tout brisé, vous n'avez pas laissé le temps de vous répondre. Vous porterez devant le pays et devant l'histoire la responsabilité des conséquences de votre conduite. C'est une singulière préface à la séparation que cette rupture totale avec le Saint-Siège! Elle la rend singulièrement dangereuse! Elle contribue à lui donner ce caractère qui suffirait à lui seul à empêcher beaucoup de nos collègues de la voter… La séparation pourra se faire le jour où l'état des esprits le permettra; elle se fera comme une mesure de pacification. Mais si elle est faite en pleine guerre contre l'Église, elle prend un tout autre caractère et elle doit faire reculer les plus hardis dans cette Chambre… Quand même nous serions d'accord sur le papier, quand vous auriez fait le plan de cette cité future où l'État et l'Église seront complètement séparés, vous n'auriez pas résolu la plus grande difficulté, qui est de faire passer ce nouveau régime dans les mœurs d'un pays aussi vieux que le nôtre, de donner la liberté totale à un clergé qui a été tenu en tutelle jusqu'à ce jour et de faire comprendre à vos amis et à tous les citoyens de ce pays, habitués à réclamer contre l'ingérence du clergé dans la politique, que tout est changé et que désormais il faut qu'ils s'y résignent!.. Fussions-nous en état, demain, de faire la séparation de l'Église et de l'État, ce serait encore une faute impardonnable d'avoir, à la veille de cette séparation, demandée par vous, rompu violemment toutes relations avec le Saint-Siège.»

Il est très certain que l'opération, très grave, je le reconnais, de la séparation de l'Église et de l'État, a été engagée précisément dans les conditions qui lui donnaient et qui lui laissent le caractère qu'elle ne devrait pas avoir.

La séparation a été une mesure de combat au cours d'une bataille. Elle a été un coup de canon répondant à une attitude de mécontentement, assez justifiée du reste. Elle a été une mesure de représailles et de vengeance.

Dans ces conditions, il est possible qu'il en sorte, mais il est difficile et il est infiniment peu probable qu'il en sorte une exécution, une pratique dominée par des sentiments libéraux, dominée, même, par des sentiments de loyauté. Qui ne voit que, en raison, en bon sens froid, le Concordat est un régime régulier et pacifique et la séparation un autre régime pacifique et régulier; que, par conséquent, la préface à une séparation doit être exactement la même qu'une préface à un concordat; qu'une séparation doit être faite, pour être bien faite et sortir de bons effets, par des négociations longues, prudentes et réciproquement respectueuses et bienveillantes, entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel; qu'elle doit être faite après un examen bilatéral et une discussion bilatérale de toute la question de principe, de toute la question de forme et de toute la question de conséquences; et que c'est précisément d'une façon toute contraire à celle que nous venons d'indiquer que la séparation a été engagée et qu'elle a été accomplie?

Si le Concordat, régime du reste détestable à mon avis, je l'ai dit assez, a été cependant un régime viable, tout au moins, et sur lequel on a pu vivre régulièrement et se tenir à peu près en équilibre, c'est qu'il avait été débattu entre les deux parties contractantes, sinon avec beaucoup de sagesse, sinon, même, avec une extrême bonne foi, du moins avec une certaine prudence, du moins avec cet avantage, qu'a toujours une tractation contradictoire, que tous les côtés et tous les aspects de la question avaient été envisagés.

Qu'on ne me dise point: «Eh! Il faut délibérer ensemble et finalement s'entendre pour contracter; mais c'est bien inutile pour décider qu'on n'est plus contractants. Il est besoin d'un contrat pour un mariage; il n'en est pas besoin pour un divorce. Il est besoin de convenir pour savoir comment on vivra ensemble; il n'est pas besoin de convenir pour savoir comment on vivra séparés et chacun de son côté, sans jamais se voir.»

Je répondrais: Pardon! Dans un pays où est établie la séparation de l'Église et de l'État, l'Église et l'État sont indépendants l'un de l'autre, mais ils vivent ensemble; ils ne sont séparés que de biens; ils habitent la même maison. Il faut donc qu'il y ait des conventions entre eux. Ces conventions sont fondées sur la séparation, c'est-à-dire sur l'indépendance réciproque, au lieu de l'être sur le concordat, c'est-à-dire sur un partage des pouvoirs; mais il faut encore qu'il y ait conventions. Il faut qu'il y ait conventions passées une fois pour toutes et auxquelles on se conforme, et il faut qu'il y ait tout le temps relations régulières et pacifiques pour régler les points de détail et circonstanciels. C'est donc précisément quand on fait la séparation qu'il faudrait la faire après délibération bilatérale et après conventions prises de commun accord; et c'est, aussi, précisément quand on a fait la séparation qu'il faut entretenir de constantes relations diplomatiques avec le chef de l'Église; et ce sont surtout les pays de séparation de l'Église et de l'État qui ont besoin d'être, d'une façon ou d'une autre, d'ailleurs, en conversation et commerce continuels avec le souverain pontife.

C'est donc et dans les pires conditions du monde que la séparation a été faite en France et dans les pires conditions du monde qu'elle existe, et ce début et cette situation ne peuvent qu'être féconds en embarras inextricables et ne peuvent être féconds qu'en cela; et il y aurait à soupçonner, si l'on inclinait à être méfiant, que c'est justement dans cet esprit, dans ces prévisions et dans ce dessein que la séparation a été faite.

En tout cas, elle est destinée à porter toujours ou très longtemps la marque, le poids et la peine de son origine.

 

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