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Le gibet

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On ne fait point de ces choses-là impunément en face du monde civilisé. La conscience universelle est un œil ouvert. Que les juges de Charlestown, que Hunter et Parker, que les jurés possesseurs d’esclaves, et toute la population virginienne y songent, on les voit. Il y a quelqu’un.

Le regard de l’Europe est fixé en ce moment sur l’Amérique.

John Brown, condamné, devait être pendu le 2 décembre (aujourd’hui même).

Une nouvelle arrive à l’instant. Un sursis lui est accordé. Il mourra le 16.

L’intervalle est court. D’ici là, un cri de miséricorde a-t-il le temps de se faire entendre?

N’importe; le devoir est d’élever la voix.

Un second sursis suivra peut-être le premier. L’Amérique est une noble terre. Le sentiment humain se réveille vite dans un pays libre. Nous espérons que Brown sera sauvé.

S’il en était autrement, si John Brown mourait le 16 décembre sur l’échafaud, quelle chose terrible!

Le bourreau de Brown, déclarons-le hautement (car les rois s’en vont et les peuples arrivent, on doit la vérité aux peuples), le bourreau de Brown, ce ne serait ni l’attorney Hunter, ni le juge Parker, ni le gouverneur Wise, ni le petit État de Virginie; ce serait, on frissonne de le penser et de le dire, la grande République américaine tout entière.

Devant une telle catastrophe, plus on aime cette république, plus on la vénère, plus on l’admire, plus on se sent le cœur serré. Un seul État ne saurait avoir la faculté de déshonorer tous les autres, et ici l’intervention fédérale est évidemment de droit. Si non, en présence d’un forfait à commettre et qu’on peut empêcher, l’union devient complicité. Quelle que soit l’indignation des généreux États du Nord, les États du Sud les associent à l’opprobre d’un tel meurtre; nous tous, qui que nous soyons, qui avons pour patrie commune le symbole démocratique, nous nous sentons atteints et en quelque sorte compromis; si l’échafaud se dressait le 16 décembre, désormais, devant l’histoire incorruptible, l’auguste fédération du Nouveau Monde ajouterait à toutes les solidarités saintes une solidarité sanglante; et le faisceau radieux de cette république splendide aurait pour lien le nœud coulant du gibet de John Brown.

Ce lien-là tue.

Lorsqu’on réfléchit à ce que Brown, ce libérateur, ce combattant du Christ, a tenté, et quand on pense qu’il va mourir, et qu’il va mourir égorgé par la République américaine, l’attentat prend les proportions de la nation qui le commet; et quand on se dit que cette nation est une gloire du genre humain, que, comme la France, comme l’Angleterre, comme l’Allemagne, elle est un des organes de la civilisation, que souvent même elle dépasse l’Europe dans de certaines audaces sublimes du progrès, qu’elle est le sommet de tout un monde, qu’elle porte sur son front l’immense lumière libre, on affirme que John Brown ne mourra pas, car on recule épouvanté devant l’idée d’un si grand crime commis par un si grand peuple!

Au point de vue politique, le meurtre de Brown serait une faute irréparable. Il ferait à l’Union une fissure latente qui finirait par la disloquer. Il serait possible que le supplice de Brown consolidât l’esclavage en Virginie, mais il est certain qu’il ébranlerait toute la démocratie américaine. Vous sauvez votre honte, mais vous tuez votre gloire.

Au point de vue moral, il semble qu’une partie de la lumière humaine s’éclipserait, que la notion même du juste et de l’injuste s’obscurcirait le jour où l’on verrait se consommer l’assassinat de la délivrance par la Liberté.

Quant à moi, qui ne suis qu’un atome, mais qui, comme tous les hommes, ai en moi toute la conscience humaine, je m’agenouille avec larmes devant le grand drapeau étoilé du Nouveau Monde, et je supplie à mains jointes, avec un respect profond et filial, cette illustre République américaine, sœur de la République française, d’aviser au salut de la loi morale universelle, de sauver John Brown, de jeter bas le menaçant échafaud du 16 décembre et de ne pas permettre que sous ses yeux, et j’ajoute en frémissant, presque par sa faute, le premier fratricide soit dépassé.

Oui, que l’Amérique le sache et y songe, il y a quelque chose de plus effrayant que Caïn tuant Abel, c’est Washington tuant Spartacus.

Victor Hugo».

Note

[1] Historique.

[2] Les forêts, terres en bois debout, valent de 10 à 15 francs l’acre (environ un arpent). Celles qui font partie du domaine public, et les terres incultes en font presque toutes partie, sont vendues à prix réduits et presque nominaux, depuis 1 fr. 25 c. jusqu’à 3, 6 et 8 fr. l’acre. La vente de ces terres se fait avec des conditions de paiement raisonnables. Le gouvernement accorde jusqu’à huit et dix années pour ce paiement.

[3] Le Kansas, sa vie intérieure et extérieure, par Sara T. L. Robinson.

[4] John Brown, sa vie, etc., par H. Marquand.

[5] Quoique les campagnes de John Brown, dans le Kansas, aient donné lieu à une foule de rapports, ces rapports sont tellement succincts et contradictoires que nous avouons volontiers avoir plus d’une fois tâché de suppléer par l’imagination aux renseignements qui nous manquaient. Cependant les faits principaux sont authentiques.

[6] Ce terme très expressif, formant onomatopée, a été emprunté par les Franco-Américains aux Anglais. Il vient du verbe to hiss (siffler quelqu’un).

[7] On sait que Bess n’est que l’abréviation de ce nom.

[8] On sait que c’est, en Amérique, la pièce où se tient dans les hôtels le débit de liqueurs et de cigares. Elle est généralement de plain-pied avec la rue.

[9] Qualification donnée, par dérision, dans les États américains aux négresses. On sait qu’en terme de blason, sable signifie noir.

[10] Colon qui a affermé des terres du gouvernement.

[11] Brûlés en mai 1861.

[12] Nous croyons devoir donner ici une copie de cette pièce:

«Charlestown, comté de Jefferson, Virginie, 1er décembre 1859.

Je donne à mon fils John Brown, ma boussole de géomètre et tous mes autres objets de géométrie, si on peut les retrouver, ainsi que mon vieux monument en granit, qui est actuellement à North Elba, dans l’État de New-York, pour qu’il y fasse graver sur les deux faces une nouvelle inscription, ainsi que je l’indiquerai ailleurs. Ce monument devra néanmoins rester à North Elba, tant qu’un de mes enfants et ma femme habiteront cette localité.

Je donne à mon fils John ma montre en argent qui a mon nom gravé dans l’intérieur de la boîte.

Je donne à mon fils Owen Brown ma lorgnette et ma carabine, si on la retrouve, celle dont il me fut fait présent à Worcester, dans le Massachusetts. Je donne aussi audit Owen cinquante livres en espèces, qui lui seront payées sur le produit de la vente du bien de mon père, en considération de ses terribles souffrances au Kansas et de l’état d’infirmité où il se trouve depuis son enfance.

Je donne à mon fils Salomon Brown cinquante livres en espèces, qui seront prises sur le produit de la vente du bien de mon père, comme équivalent des deux legs déjà mentionnés.

Je donne à ma fille Ruth Thompson Brown, ma grande vieille Bible, qui contient les mémoranda de la famille.

Je donne à mes fils, à chacune de mes autres filles, à mon gendre, Henry Thompson, ainsi qu’à chacune de mes belles-filles, une Bible de la plus belle édition qu’on pourra se procurer à New-York ou à Boston, au prix de cinq livres l’exemplaire, qui seront payées comptant sur le produit de la vente des biens de mon père.

Je donne à chacun de mes petits-enfants qui seront en vie lors du règlement de la succession de mon père, une Bible d’une aussi belle édition que possible (ainsi qu’il est dit plus haut) au prix de trois livres l’exemplaire.

Toutes ces Bibles devront être achetées en même temps au comptant et aux meilleures conditions.

Je désire qu’il soit payé, sur le produit net de la succession de mon père, cinquante dollars à chacune des personnes que je vais désigner: à M. Allen Hammond, de Rockville (Connecticut), ou à M. George Kellogg, ancien agent de la compagnie de la Nouvelle-Angleterre dans cette localité, pour le compte et bénéfices de cette Compagnie; cinquante dollars à Silas Havens, autrefois de Lewisburg (Ohio), si l’on peut le retrouver, et aussi cinquante dollars à un homme, du comté du Stark (Ohio), qui, du vivant de mon père, lui intenta un procès, par l’intermédiaire du juge Humphrey et de M. Upson, d’Aken.

Cette somme sera payée par J.-R. Brown à l’homme en personne, si on peut le découvrir. Je ne puis me rappeler son nom.

Mon père arrangea l’affaire à l’amiable avec cet homme, en prenant notre maison avec l’enclos à Manneville.

Je désire que tout ce qui pourra rester de ma part de la succession de mon père soit distribué par mon frère, et par parts égales, à ma femme et à chacun de mes enfants, ainsi qu’aux veuves de Watkin et Owen Brown.

John Brown.

John Avis, témoin.»

[13] Le Pèlerinage du Chrétien vers l’Éternité, ouvrage par John Bunyan.

[14] Premier vers d’un admirable cantique anglais, commençant ainsi:

 
«I’ll praise my Maker with my breath,
And when my voice is lost in death,
Praise shall employ my noblest prouwers.»
 

Ce qui signifie:

 
«Je louerai mon Créateur avec mon souffle,
Et quand ma voix sera perdue dans la mort,
La louange occupera mes plus nobles facultés.»
 

[15] Ami du genre humain.

[16] Ainsi toujours pour les tyrans.

[17] La peur a courbé leurs esprits dégénérée.

[18] Beaucoup de détails manquaient au moment où M. Hugo a écrit ce morceau. Il y eut cinq condamnations à mort.