Les Mozart, Comme Ils Étaient (Volume 1)

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"dominus" musical de Milan pendant des dizaines d'années en parvenant à se faire nommer Maître de Chapelle à la Cour Ducale Royale et, contemporainement, dans les principales églises de la ville (14 simultanément!). Mais revenons à Léopold et ses conseils.

Voici quelques exemples:

"Si tu restes pour donner des leçons aux jeunes garçons (il s'adresse aux enfants naturels du Prince Palatin de Mannheim et sa maîtresse NdA) alors tu as toutes les possibilités de te faire apprécier par le prince électeur et il n'est certainement pas nécessaire que la gouvernante devienne ton amie" (lettre du 8 décembre 1777).

"A Mannheim tu as très bien fait d'obtenir les faveurs de Mr Cannabich (Directeur de l'orchestre de cour NdA) (lettre du 12 février 1778).

"C'est très positif que tu te procures la sympathie de la comtesse von Paumgarten (maîtresse du prince électeur NdA). Peu à peu tu rendras sûrement visite également au conte Seinsheim (Ministre de la cour de Mannheim, NdA) et à l'épouse du président (lettre du 20 novembre 1780)".

Même l'activité compositrice de Léopold était une source de conseils pour son fils, ayant l'intention de le diriger vers la composition de morceaux selon le style requis par le client, ou en tout cas selon la mode musicale de l'époque et des différentes Cours. Pragmatiquement Léopold, qui avait connu l'inconstance du public européen, désirait que la musique de Wolfgang soit la musique appropriée, au moment approprié et pour un public approprié. Ne pas être actuel condamnait à l'oubli (il fallait donc se tenir au courant des nouveautés dans le domaine musical) mais être trop moderne condamnait à l'incompréhension.

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Diego Minoia – Les Mozart comme ils étaient

1^ partie - Salzbourg et la famille Mozart De ces conseils, certainement abondamment élargis durant toute la période de formation et de convenance avec Wolfgang, nous avons des traces de lettres de la période où Léopold était à Salzbourg tandis que son fils voyageait : " Je te conseille de penser, lorsque tu travailles, non seulement au public musical mais également au public non musical; tu sais que, pour dix connaisseurs correspondent cent ignorants.

N'oublie donc pas le niveau dit populaire qui sollicite également les grandes oreilles" (11

décembre 1780)

Les compositeurs devaient également se préoccuper d'avoir de bonnes relations avec les musiciens des orchestres chargés d’exécuter leurs musiques, sous peine d’exécutions superficielles voir de boycotts. Ici aussi l'expérience du père vient en aide au jeune homme, qui comme nous le savons (et Léopold en était conscient également) n'était pas très diplomatique dans les relations humaines. Dans une lettre envoyée de Monaco avant la représentation de l'opéra Idomeneo, Léopold écrit à son fils :

"Essaies de maintenir l'orchestre tout entier de bonne humeur, fais -lui des éloges et conserve-le bien disposé envers toi. ( ... ) ... même le plus mauvais des violonistes est suffisamment sensible lorsque tu le loues en privé et devient donc plus zélé et attentif et ce genre de courtoisie ne coûte que quelques paroles ... car tu auras besoin de toute l'amitié et du zèle de tout l’orchestre lorsque l'opéra commencera" (lettre du 25 décembre 1780).

Enfin, après une vie qu'il considérait (et nous pouvons l'admettre) presque entièrement sacrifiée au succès de son fils, Léopold subit la honte (vécue par lui et jamais guérie) de ses multiples désobéissances de son fils: le licenciement de ses charges musicales à Salzbourg, les choix autonomes au cours du voyage à Monaco et Paris avec sa mère, le déménagement à Vienne et le mariage avec Constance, décidé sans prévenir son père...

Je dirais qu'il y en avait assez pour faire penser à Léopold (rappelons son état d'esprit du XVIIIè siècle) qu'il était déçu par un fils ingrat qui oubliait les sacrifices que son père avait fait pour lui. Et dans les lettres des années de l'éloignement, toujours plus rares au fur et à mesure de l'incommunicabilité entre les deux Mozart, il ne manquait pas de le signaler à son fils rebelle : " ... j'ai toujours pensé que tu devais me considérer plus comme ton meilleur ami que comme un père. J'ai cent preuves du fait que dans ma vie, je me suis davantage préoccupé de ta fortune et de ton plaisir que pour moi même. Je croyais que tu me demanderais des conseils, vu que je suis en mesure de mieux réfléchir sur les choses et de trouver une solution (...) Tu n'abandonneras quand même pas ton père? " (lettre du 20 juillet 1778).

Son fils, d'autre part, dans ses lettres en réponse aux recommandations paternelles, faisait l'impossible pour le tranquilliser en se décrivant comme quelqu'un de respectueux des enseignements reçus (pour ensuite agir comme il le voulait) et s'étonnant de ses décisions en motivant qu'il aurait satisfait son père 49

Diego Minoia - Les Mozart comme ils étaient

1^ partie - Salzbourg et la famille Mozart (celui-ci, à son tour, ne le croyait pas et savait lire entre les lignes). Nous pouvons trouver un exemple de ce texte et sous texte dans une lettre de Wolfgang à son père, envoyée de Mannheim après que son voyage à Paris avec la chanteuse Aloysa Weber s'évapora car cette dernière décida de ne pas confier sa fortune (et son cœur) au rêveur de Salzbourg.

Après avoir déchanté dans les précédentes lettres les éloges musicales et caractérielles d'Aloysa et des hypothétiques compagnons de voyages dans l'aventure parisienne, le flûtiste Wendling et hautboïste Ramm, dans la lettre du 4

février 1778 il motive le désistement de l'aventure parisienne car l'un (Wendling) était sans religion et l'autre (Ramm) était un libertin. Nous verrons par la suite, en suivant la correspondance de Mozart, d'autres exemples qui nous aiderons à comprendre mieux le caractère des Mozart et les délicates relations entre eux par rapport aux évènements importants.

Wolfgang

Johannes Chrisostomus Wolfgangus Theophilus naît à Salzbourg le 27 janvier 1756 à 20h00 et est baptise selon le rituel catholique le 28 janvier.

Le physique

D'une petite stature, un corps mince, avec une grande tête et l'oreille gauche légèrement déformée (au point qu'il portait une perruque pour la cacher à la vue des autres), Wolfgang n'avait certainement pas un physique qui, dans l'imaginaire collectif, renvoyait immédiatement au concept de Génie. Petit, avons nous dit, maigre, avec un teint pâle et des signes visibles laissés par la variole (qui l'avait contaminé lorsqu'il était enfant). Des yeux bleus exorbités, typiques des myopes et un nez pointu, "avec une grande mèche de beaux cheveux blonds dont il semblait être fier", toujours en mouvement des pieds et avec des mains rondes (loin de l'image romantique du pianiste à la Listz au XIXè siècle, pour la précision) au point qu'aujourd'hui, dans les écoles il serait probablement soumis à des évaluations pour hyperactivité et hyperkinétisme.

Sa constitution fragile favorisa l'enthousiasme du public qui l'écoutait comme un "enfant prodige", au point que son père, pour en accroître l'effet, le présentait en lui enlevant régulièrement un ou deux ans. Le fait qu'il ait un physique peu prestant amena certains commentateurs à soutenir qu'à la base des nombreuses maladies et de la mort précoce, il y avait les nombreux efforts imposés par le père 50

Diego Minoia – Les Mozart comme ils étaient

1^ partie - Salzbourg et la famille Mozart au cours de la formation musicale dans son enfance et son adolescence, en plus de la fatigue des voyages et des fréquentes exhibitions.

En réalité, autant Wolfgang que sa sœur Nannerl ne mentionne dans les écrits qu'il nous reste, d'avoir souffert pour de tels engagements, qui du reste étaient communs à l'époque pour tous les musiciens qui désiraient se créer un futur, en développant leurs propres dons. Tous les grands de l'époque et des siècles précédents, de Bach à Haydn, furent soumis à d'importants efforts dans leur jeunesse, dans le but de rejoindre des niveaux qui leur permettraient d'émerger dans le monde musical. Et cela n'arrivait pas seulement en Allemagne et en Autriche, il suffit de penser aux nombreuses heures d'engagements qui étaient demandées dans les Conservatoires italiens, napolitains et vénitiens, aux jeunes étudiants. Si nous voulons plutôt, souligner un aspect négatif dans la formation du petit Wolfgang, nous devons signaler comment dans la partie la plus importante de sa vie, en ce qui concerne les relations, les jeunes de son âge sont absents: pas d'amis avec qui jouer, à part sa sœur, de cinq ans plus âgée, aucun compagnon avec qui disputer/faire la paix/ explorer les sentiments humains et se construire une personnalité mûrie au bon moment et avec le nécessaire équilibre.

Musique et études, clavier et violon, chant et improvisation: ont été les "jeux"

des petits Mozart. Comment comprendre l'homme sans tenir compte de ces aspects fondamentaux? En effet, déjà depuis son jeune âge, Wolfgang fut un petit adulte, dans son comportement et dans ses vêtements, préparé à affronter les environnements aristocratiques que son père rêvait pour le destin de son fils. En effet, c'est ainsi que le vit un jeune Goethe âgé de quatorze ans au cours d'une représentation à Francfort en 1763: "un petit homme avec épée et coiffure". De nombreuses hagiographies littéraires nous présentent Wolfgang comme un Génie doué d'une créativité innée qui l'amenait à réaliser des chefs d'œuvres en série sans efforts ni erreurs.

Une étude d'il y a quelques années réalisée par l'Université de Cambridge (Cambridge Handbook of Expertise and Expert Performance c'est à dire Manuel de Cambridge de l'Expertise et de l’Excellence, publié par la Cambridge University Press) et basée sur une analyse attentive des vies de 120 personnalités géniales dans les différents secteurs du savoir, réfute cette simple manière de considérer le Génie. Il émerge de cette étude une formule de génialité qui, dans sa synthétique et nue vérité, est composée de la sorte: 1% de capacités innées et inspirations, 29% de bons enseignements et formation, 70% de dur labeur (prolongé, vu qu'en moyenne les personnages géniaux ont du s'appliquer avec constance durant au moins dix ans, si pas plus, pour obtenir les premiers grands résultats).

 

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1^ partie - Salzbourg et la famille Mozart Du reste, de manière encore plus synthétique et non sans humorisme, cette réplique est bien connue (attribuée à Hemingway plutôt qu'à Edison ou à Mozart) qui soutient d’être le Génie "1% inspiration et 99% transpiration" , c'est à dire sueur et travail.

Mozart, à partir de ses 3 ans, montra immédiatement 1% de génialité instinctive mais dans les années suivantes (beaucoup plus que les 10 années indiquées par l'étude de Cambridge) il s'appliqua à sa formation (grace aux excellents enseignements de son père et à l'étude des musiques des autres compositeurs significatifs) durant le reste de sa vie et il honora les 70% de dur labeur prévu par la formule. Sur la qualité des études du petit Wolfgang, à part les études musicales pour lesquelles son père était suffisamment équipé, certains osèrent les définir de premier ordre. Il est vrai que Léopold avait une formation culturelle d'un certain niveau, ayant fréquenté à Augusta l'école des Jésuites et à Salzbourg au moins une année d'université, mais pouvons-nous vraiment considérer la culture générale de Wolfgang à la hauteur de son génie musical ?

Sans aucun doute la formation de base donnée par son père, avec les expériences de vie stratifiées au cours des nombreux voyages européens, lui permirent une connaissance des choses du monde que bien peu de ses pairs auraient pu rêver. De ses lettres et de ce que nous révèlent les sources, cependant, Wolfgang n'eut jamais de passions pour autre chose que la musique: il n'écrit aucun commentaire sur les monuments et les chefs d'œuvres artistiques visités dans les différentes villes, et cela également pour les lectures qu'il aura certainement fait.

De Milan il écrit à sa mère d'avoir assisté à une pendaison, comme il l'avait déjà fait à Lion, sans mentionner, que je sache, la Cathédrale, le Dernier repas de Léonard de Vinci ou une quelconque œuvre d'art présente en ville. Wolfgang n'était pas un grand lecteur: nous savons qu'il lu Les mille et une nuit, des récits, quelques comédies de Molière et de Goldoni et, naturellement beaucoup de livrets d'œuvres, utiles pour son objectif préféré: créer des mélodrames.

Enfin, un être humain privé des expériences formatives typiques des différentes phases évolutives qu'il ne trouva même pas dans la culture (et dans la littérature en particulier, si riche de possibles idées de formation, confrontation et débat) un contrepoint à la puissance écrasante de son monde musical intérieur.

De lui, on pourrait dire, comme il était habituel de dire à Paris, à son époque, en parlant de la formation culturelle des grandes dames provenant de la formation des couvents-collèges réservés à la noblesse, qu' "il savait tout sans n'avoir jamais rien a p pris" . Mais, au contraire des dames sur-indiquées, il n'apprit réellement jamais à "savoir vivre en société", à comprendre les personnes (individuellement 52

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1^ partie - Salzbourg et la famille Mozart et en masse, c'est à dire public) et se conformer à ce qui était considéré convenant pour un individu de son extraction sociale.

Il fut honnête et sincère d'un point de vue artistique, jusqu'à l'automutilation....

et cela le porta à solitude qui l'entoura durant les dernières années: la solitude des 51

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1^ partie - Salzbourg et la famille Mozart nombres premiers, pourrons-nous dire en citant le titre d'un roman italien... et il était sans aucun doute un nombre premier, non divisible si non par lui même et pour l'essence de l'individualisme, le nombre un qui dans la relation de division avec le nombre premier ne fait que refléter son image.

Le chiffre un contient en lui tous les autres nombres (que l'on obtient au travers de la multiplication) tout comme pour Mozart nous retrouvons tous les principaux compositeurs de son époque et toutes les simples phases de développement des innovations formelles et expressives qui l'ont caractérisé.

Tous ces aspects de sa formation expliquent, selon moi, cette espèce d'incapacité de vivre et de tisser des relations positives avec les autres êtres humains qui caractérisèrent la phase adulte de la brève vie de Mozart. Nous pourrons par la suite approfondir ces aspects en temps voulu, en nous basant sur la correspondance avec son père et sa sœur.

Le caractère

Des témoins de son enfance le décrivent comme étant toujours actif, physiquement et mentalement. A l'âge adulte également il maintient l'habitude de faire plusieurs choses contemporainement: il tambourinait des doigts pendant qu'il parlait, il jouait avec les boules de billard pendant qu'il composait....

On pourrait dire, comme certains le soutiennent, qu'en réalité Wolfgang ne fut jamais un enfant ou bien, comme d'autres le soutiennent, qu'il le fut durant toute sa vie. Les deux affirmations sont vrais. Ayant grandi sans une enfance normale, totalement dédiée à l'étude (il commence à jouer du clavecin à 4 ans, à composer de petits morceaux à 5, à partir de 6 ans il entreprend une série de voyages en tant qu'enfant prodige dans toute l'Europe, de 14 à 17 ans il va trois fois en Italie et compose des œuvres toujours plus complexes et personnelles) une fois adulte, toutes ces expériences humaines qui l'amèneront à ne pas comprendre à fond les personnes et l'environnement qu'il fréquentait lui manqueront. Être vaniteux et absolument convaincu de sa supériorité par rapport à tout autre musicien l'amena souvent à être antipathique et envieux du succès d'autrui, surtout des musiciens italiens qui à l'époque occupaient un grand nombre des positions les plus prestigieuses dans les Cours européennes (en cela influencé par de semblables idées plusieurs fois exprimées par son père qui à son tour considérait "les italiens"

comme une congrégation d'intrigants envers les allemands). Si dès l'enfance Wolfgang se montra respectueux envers son père et, en générale, envers les adultes, en grandissant il eut toujours plus de difficultés à accepter les ordres 53

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1^ partie - Salzbourg et la famille Mozart paternels et les règles de la société de son temps, même s'il ne montra pas d'intérêt particulier pour les idées révolutionnaires qui circulaient en Europe.

La mentalité du père (typique entre autre, de tous les musiciens nés avant la moitié du XVIIIè siècle), ancrée dans la conscience résignée que la vie d'un musicien était indissolublement liée à la bienveillance d'un prince, fut absorbée sans traumatisme par le petit prodige. Il se montra un enfant et un adolescent respectueux et obéissant, suivant les prescriptions paternelles tant dans le secteur des études musicales que dans les comportements à tenir en société. Il pensait de lui, ou bien faisait croire de penser (comme dans les lettres à son père), d'être une personne obéissante et soumise, dédiée au travail, respectueuse des règles et craignant Dieu.

La fréquentation des Cours européennes, les éloges reçus et les avantages économiques qui en dérivaient, renforçaient probablement en lui les idées que son père lui avait transmis. Tout marchait bien, jusqu'à ce que la réalité fut conforme à ses attentes et ses désirs, mais lorsque des divergences arrivèrent, ses idées prirent une direction différente et les premiers signes d'impatience et ensuite de rébellion apparurent. Une impatience envers ces nobles qui ne se montraient pas en mesure de comprendre ses qualités, et la prise de conscience progressive de ne pas toujours être "libre" de faire ses propres choix musicaux et de vie. Son père l'orienta d'une manière forte vers la production de musiques qui pouvaient plaire sur base des genres et des styles en vogue et une fois au service de l'Archevêque de Salzbourg, il du se plier à ses requêtes musicales, qui n'étaient pas toujours en accord avec les désirs du jeune compositeur.

Mais il ne s'agissait pas d'un Mozart fervent aux idées de l'illuminisme et aux passions révolutionnaires qui se propageaient progressivement en France et en Europe: Beethoven, de 14 ans plus jeune que Wolfgang, ayant été formé dans un milieu culturel plus moderne, fut contaminé en quelque sorte par les nouvelles idées (au point de dédier sa Symphonie héroïque à Napoléon, à l'exception de lorsqu'il effaça avec colère sa dédicace à la prise de pouvoir du tyran), Mozart non.

Wolfgang, au moins lorsqu'il était enfant, avait assimilé et accepté sans traumatisme les conventions sociales de son époque et ne regrettait pas le fait que les bourgeois comme lui, étaient socialement inférieurs aux aristocrates et aux dépens de leurs bons vouloirs. Il aurait sans doute regretté, en grandissant et en abandonnant le rôle d'enfant prodige au profit du rôle bien plus important de compositeur, les non reconnaissances de ses capacités et de ses qualités en tant que musicien. Pas un révolutionnaire, donc, mais un rebelle émanant des circonstances contingentes qui ne lui permettaient pas de suivre ses instincts et sa créativité, sujet à l'approbation d'un public d'aristocrates qui, même sans parvenir 54

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1^ partie - Salzbourg et la famille Mozart à le suivre dans ses moments de grande génialité, étaient toujours en mesure d'en décréter son succès ou l'échec artistique et économique.

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1^ partie - Salzbourg et la famille Mozart Wolfgang adulte, voulait être reconnu, au delà et en dehors de son appartenance à la petite bourgeoisie (retenu en tant que tel de valeur inférieure à n'importe quel noble en terme social, économique et dans la capacité de juger ce qui valait culturellement) comme un artiste complet, valable et parfaitement conscient des éléments techniques et émotifs de ses compositions. Le respect envers son art et envers son travail l'amena à s'obstiner dans la défense de ses propres idées artistiques envers les critiques de la part des nobles qu'il considérait incapables de les comprendre mais qui étaient habitués à ne pas être contredit.

Wolfgang était orgueilleux et il l'écrit dans une lettre à son père, il ne voulait pas

« s'abaisser » devant les nobles.

Le défi continu qu'il devait engager avec le monde aristocratique, avec qui il devait nécessairement vivre, le porta à accumuler une agressivité souterraine qui émerge tant dans ses lettres que dans certains de ses travaux: le Figaro qui menace Monsieur Contino de lui faire "faire un saut périlleux" plutôt que la représentation dans le Don Giovanni du noble égoïste et prétentieux avec tous ceux qu'il considère inférieurs. Mozart était plus individualiste que Beethoven, il n'avait pas l'ambition de changer le monde pour le bien de l'humanité, il lui suffisait de l'améliorer pour lui même (en cela, il faut le dire, influencé dès son jeune âge par l'observation et par la manière d'agir et de penser de son père). Ses extraordinaires dons musicaux lui ont valu l'estime et l'amitié, quelques fois l'appui, de certains musiciens déjà "parvenus" (comme le plus âgé Franz Joseph Haydn) titulaire de charges prestigieuses et qui ne craignaient donc pas sa concurrence. Sa conviction, juste mais souvent exprimée sans diplomatie, d'être supérieur par rapport à n'importe quel autre musicien européen l'amena, cependant, également à avoir des ennemis et des détracteurs, qui n'appréciaient pas que leur médiocrité soit révélée de manière arrogante en public.

L'habitude de Wolfgang de dire ce qu'il pensait, sans filtre ni diplomatie, le rendait un très mauvais "homme du monde" et le maintint un corps étranger par rapport aux environnements raffinés, où les "manières de faire" représentaient tout. Un des modus operandi utilisé par le Nôtre pour mettre en évidence sa supériorité était d’exécuter lors des occasions publiques, par cœur et parfaitement, des morceaux de compositeurs présents, auxquels suivaient des improvisations et des variations qui révélaient ses extraordinaires capacités. Il le fit, par exemple, avec Giovanni Giuseppe Cambini (1746 -1818), élève du fameux Père Martini, compositeur, violoniste, directeur d'orchestre et critique musical.

 

Après le "traitement" auquel Mozart le soumis, Wolfgang décrit la soirée avec Cambini dans une lettre à son père, en ajoutant: "Eh bien celle là, il ne l'a pas digérée" . Il savait donc ce qu'il faisait et que son comportement irritant aurait pu 55

Diego Minoia - Les Mozart comme ils étaient

1^ partie - Salzbourg et la famille Mozart transformer en ennemis des personnes qui pouvaient lui être utiles en société, s'ils avaient été ses supporters... mais il le faisait quand même. Ces comportements, ainsi que le fait qu'il ne su jamais évaluer la position que les interlocuteurs avaient par rapport à lui (tant pour les femmes dont il s'était engoué sans succès, que pour les hommes qui le fréquentaient pour des raisons différentes de l'amitié) nous montrent un Mozart émotivement et relationnellement immature, et même insensé. Envers tout ce qui, en tout cas, n'était pas musicalement parlant. Nous avons donc la perception d'un Mozart partagé en deux et sans doute, dans les dernières années, déchiré intérieurement par la rétraction entre l'homme et le musicien.

Le musicien: précis et attentif à chaque détail, il contrôlait tout et avait la capacité de rechercher la perfection et de la prétendre de la part des exécuteurs.

L'homme: instable et même confus dans la gestion des sentiments et des projets affectifs, comme nous le communique sa sœur qui le considérait naïf pour tout ce qui concernait les questions d ordre pratique. En vérité à l'occasion de la mort de son père et du partage de l'héritage, Wolfgang ne se montra absolument pas naïf, et demanda d'être payé en Florins viennois plutôt qu'en Florins de Salzbourg, en gagnant donc au change (dans ce cas, il y eut certainement l'intervention de son épouse Constance, plus astucieuse que lui lorsqu'il s'agissait d'intérêts).

Dans tous les cas, le fait que son père (et sa mère pour tout ce qui était de son ressort), jusqu'à ce qu'il put, a organisé et géré tous les aspects de la vie de Wolfgang, à partir des vêtements jusqu'à la nourriture, l'organisation des voyages et concerts, la gestion des bénéfices et des dépenses, ont fait en sorte que le fils n'a jamais pu mûrir ces expériences préparatoires à l'âge adulte et à l'autonomie.

Adulte, par exemple, Wolfgang ne coupait pas la viande qui se trouvait dans son plat mais la faisait couper par d'autres: d'abord par la famille et ensuite par son épouse. Il s'agissait peut être d'une précaution pour préserver ses précieuses mains des blessures qui auraient pu faire annuler des concerts et des exhibitions, ou encore interrompre dramatiquement sa carrière d’exécuteur, dans tous les cas, l'exagération d'une telle habitude ne témoigne pas en faveur d'une capacité de gérer les petites nécessités quotidiennes.

Les résultats absolument négatifs du voyage à Monaco et Paris, lorsqu'il fut accompagné uniquement par sa mère (qui mourra à Paris) démontrent de manière évidente l'incapacité de Wolfgang de gérer sa vie, ses relations personnelles et de travail ainsi que ses sentiments amoureux (à voir, l'engouement totalement unidirectionnel qu'il éprouva pour Aloysa Weber, qui ne se fit aucun problème à le quitter lorsqu'elle ne pu plus en tirer des avantages).

Il est évident que l'incapacité de gérer sa vie créa à Wolfgang des tensions qui se 56

Diego Minoia – Les Mozart comme ils étaient

1^ partie - Salzbourg et la famille Mozart diluèrent uniquement grace à sa conviction de pouvoir résoudre, de toute façon, les problèmes par le biais de ses dons artistiques.

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Diego Minoia - Les Mozart comme ils étaient

1^ partie - Salzbourg et la famille Mozart D'autres tensions dans la vie de Wolfgang se créèrent progressivement par rapport à sa liberté artistique et personnelle, et sublimèrent, à part quelques défoulements dans sa correspondance, simplement dans la musique: in primis dans la création de très belles compositions malgré les "enjeux" imposés par les modes et les clients. Une fois seulement, de manière ironique et peut-être inconsidérée par rapport aux temps, il fit entrevoir sa pensée: dans les Noces de Figaro, où le comte est mis à nu dans sa prétention, et dans l'air "Si Monsieur le comte veut danser" il stimule également, chose étrange à l'époque, une pensée de vengeance, même physique, de la part de Figaro, le domestique! Pourtant le livret, après les premières difficultés liées aux interdictions impériales de représentation pour l'opéra de Beaumarchais, fut approuvé par Joseph II en personne, celui-ci avec astuce, voulait atteindre le pouvoir de l'aristocratie féodale (représentée par le puissant et charmeur comte dans le Figaro) en faveur d'une nouvelle relation entre le Souverain et le sujet, où l'intermédiation de la noblesse devait être réduite.

En effet, Mozart paya durement ce moment de défi, qu'il avait sans doute sous-estimé (et non compris dans ses termes "politiques"), il passa la censure impériale, mais non la perception d'une partie du public aristocratique viennois qui, dès ce moment là, l'abandonna progressivement. A la froideur de la noblesse, dérangée par le Figaro, s'ajouta ensuite dans les dernières années de sa vie, l'incompréhension de la part du public envers le parcours artistique de Mozart: après les années des grands succès où il avait su interpréter au mieux les goûts des auditeurs dans le respect des formes et des moyens appropriés, l'artiste alla au delà, en dépassant les limites avec des musiques innovatrices que son public n'était pas encore en mesure de comprendre et apprécier.

Ce fut un choix courageux et extraordinairement fructueux, d'un point de vue artistique, mais désastreux sous le profil économique et du prestige social. Si l'on imagine combien la perte de l'approbation du public agit sur son âme. Il accepta cependant ses ennuis, tout comme son père, au moins extérieurement, avec une fatale résignation: "Si Dieu le veut" . Et il écrit une phrase semblable à l'Abbé Bullinger de Salzbourg en lui communiquant la mort de sa mère à Paris: "Dieu a voulu cela" répétant entre autre la phrase finale d'une précédente lettre que son père lui avait envoyée à Paris, alors au courant de la maladie de son épouse et imaginant le pire, il écrit: "Dieu! Que ta volonté soit faite".

Comme nous le verrons, les tensions accumulées, liées à la liberté, amenèrent deux ruptures dramatiques qui marquèrent la partie finale de sa vie: son licenciement de la Cour de Salzbourg et le détachement progressif de son père et de sa sœur, suite à son transfert à Viennes et son mariage avec Constance.

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Diego Minoia - Les Mozart comme ils étaient

1^ partie - Salzbourg et la famille Mozart Interrompre les chaînes qui le subjuguaient devint, à un certain moment de la vie de Wolfgang, une pensée fixe qu'il exprima clairement dans son jugement concernant l'Archevêque Colloredo qu'il définit " ennemi des hommes" et " prêtre prétentieux et arrogant" . On ne peut cependant pas exclure que probablement à un niveau subliminal et impulsif, émergeaient quelques fois dans son esprit des pensées pas très bienveillantes par rapport à son père qui, par son concept d'autorité paternelle principale et sa vision du monde ancrée à des valeurs désormais en devenir, l'empêchait (probablement car il était rêveur) de se lancer dans des aventures sans filets de protection.

En parlant du licenciement de Wolfgang, précédé du fameux coup de pied qui en fut le sceau, il faut cependant rendre hommage au comte Arco, "Grand maître cuisinier" de la Cour de Salzbourg (il était pratiquement un courtisan lui même, dans une position beaucoup plus élevée des Mozart mais soumis aux mêmes conditions de minorité par rapport à l'Archevêque) d'avoir tenté plusieurs fois de conseiller au jeune Mozart des attitudes plus appropriées à sa condition. Il se révéla même prophétique lorsque, bien avant d'administrer le coup de pieds qui passa à l'histoire, il essaya de le désenchanter de ses désirs viennois, en le vouvoyant: "... croyez-moi, ici (à Vienne NdA) vous vous laissez éblouir, ici la renommée d'une personne dure peu, au début on vous couvre d'éloges, et l'on gagne également beaucoup, c'est vrai, mais pendant combien de temps? Après quelques mois les viennois veulent quelque chose de nouveau". Et notre jeune enfant expérimenta durement combien il avait raison lorsqu'il poursuivit ses rêves en s'approchant du soleil de la ville impériale, se brûlant les ailes et la vie.

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