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A se tordre

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COLLAGE

Le Dr Joris Abraham W. Snowdrop, de Pigtown (U.S.A.), était arrivé à l’âge de cinquante-cinq ans, sans que personne de ses parents ou amis eût pu l’amener à prendre femme.

L’année dernière, quelques jours avant Noël, il entra dans le grand magasin du 37th Square (Objets artistiques en Banaloïd), pour y acheter ses cadeaux de Christmas.

La personne qui servait le docteur était une grande jeune fille rousse, si infiniment charmante qu’il en ressentit le premier trouble de toute sa vie. À la caisse, il s’informa du nom de la jeune fille.

– Miss Bertha.

Il demanda à miss Bertha si elle voulait l’épouser. Miss Bertha répondit que, naturellement (of course), elle voulait bien.

Quinze jours après cet entretien, la séduisante miss Bertha devenait la belle mistress Snowdrop.

En dépit de ses cinquante-cinq ans, le docteur était un mari absolument présentable. De beaux cheveux d’argent encadraient sa jolie figure toujours soigneusement rasée. Il était fou de sa jeune femme, aux petits soins pour elle et d’une tendresse touchante.

Pourtant, le soir des noces, il lui avait dit avec une tranquillité terrible :

– Bertha, si jamais vous me trompez, arrangez-vous de façon que je l’ignore.

Et il avait ajouté :

– Dans votre intérêt.

Le Dr Snowdrop, comme beaucoup de médecins américains, avait en pension chez lui un élève qui assistait à ses consultations et l’accompagnait dans ses visites, excellente éducation pratique qu’on devrait appliquer en France. On verrait peut-être baisser la mortalité qui afflige si cruellement la clientèle de nos jeunes docteurs.

L’élève de M. Snowdrop, George Arthurson, joli garçon d’une vingtaine d’années, était le fils d’un des plus vieux amis du docteur, et ce dernier l’aimait comme son propre fils.

Le jeune homme ne fut pas insensible à la beauté de miss Bertha, mais, en honnête garçon qu’il était, il refoula son sentiment au fond de son cœur et se jeta dans l’étude pour occuper ses esprits.

Bertha, de son côté, avait aimé George tout de suite, mais, en épouse fidèle, elle voulut attendre que George lui fasse la cour le premier. Ce manège ne pouvait durer bien longtemps, et un beau jour George et Bertha se trouvèrent dans les bras l’un de l’autre.

Honteux de sa faiblesse, George se jura de ne pas recommencer, mais Bertha s’était juré le contraire.

Le jeune homme la fuyait ; elle lui écrivit des lettres d’une passion débordante : « … Être toujours avec toi ; ne jamais nous quitter, de nos deux êtres ne faire qu’un être ! … »

La lettre où flamboyait ce passage tomba dans les mains du docteur qui se contenta de murmurer :

– C’est très faisable.

Le soir même, on dîna à White Oak Park, une propriété que le docteur possédait aux environs de Pigtown.

Pendant le repas, une étrange torpeur, invincible, s’empara des deux amants.

Aidé de Joe, un nègre athlétique, qu’il avait à son service depuis la guerre de Sécession, Snowdrop déshabilla les coupables, les coucha sur le même lit et compléta leur anesthésie grâce à un certain carbure d’hydrogène de son invention.

Il prépara ses instruments de chirurgie aussi tranquillement que s’il se fût agi de couper un cor à un Chinois.

Puis avec une dextérité vraiment remarquable, il enleva, en les désarticulant, le bras droit et la jambe droite de sa femme.

À George, par la même opération, il enleva le bras gauche et la jambe gauche.

Sur toute la longueur du flanc droit de Bertha, sur toute la longueur du flanc gauche de George, il préleva une bande de peau large d’environ trois pouces.

Alors, rapprochant les deux corps de façon que les deux plaies vives coïncidassent, il les maintint collés l’un à l’autre, très fort, au moyen d’une longue bande de toile qui faisait cent fois le tour des jeunes gens.

Pendant toute l’opération, Bertha ni George n’avaient fait un mouvement.

Après s’être assuré qu’ils étaient dans de bonnes conditions, le docteur leur introduisit dans l’estomac, grâce à la sonde œsophagienne, du bon bouillon et du bordeaux vieux.

Sous l’action du narcotique habilement administré, ils restèrent ainsi quinze jours sans reprendre connaissance.

Le seizième jour, le docteur constata que tout allait bien.

Les plaies des épaules et des cuisses étaient cicatrisées.

Quant aux deux flancs, ils n’en formaient plus qu’un.

Alors Snowdrop eut un éclair de triomphe dans les yeux et suspendit les narcotiques.

Réveillés en même temps, Georges et Bertha se crurent le jouet de quelque hideux cauchemar.

Mais ce fut bien autrement terrible quand ils virent que ce n’était pas un rêve.

Le docteur ne pouvait s’empêcher de sourire à ce spectacle.

Quant à Joe, il se tenait les côtes.

Bertha surtout poussait des hurlements d’hyène folle.

– De quoi vous plaignez-vous, ma chère amie ? interrompit doucement Snowdrop. Je n’ai fait qu’accomplir votre vœu le plus cher : Être toujours avec toi ; ne jamais nous quitter ; de nos deux êtres ne faire qu’un être…

Et, souriant finement, le docteur ajouta :

– C’est ce que les Français appellent un collage.

LES PETITS COCHONS

Une cruelle désillusion m’attendait à Andouilly.

Cette petite ville si joyeuse, si coquette, si claire, où j’avais passé les six meilleurs mois de mon existence, me fit tout de suite, dès que j’arrivai, l’effet de la triste bourgade dont parle le poète Capus.

On aurait dit qu’un immense linceul d’affliction enveloppait tous les êtres et toutes les choses.

Pourtant il faisait beau et rien, ce jour-là, dans mon humeur, ne me prédisposait à voir le monde si morne.

– Bah ! me dis-je, c’est un petit nuage qui flotte au ciel de mon cerveau et qui va passer.

J’entrai au Café du Marché, qui était, dans le temps, mon café de prédilection. Pas un seul des anciens habitués ne s’y trouvait, bien qu’il ne fût pas loin de midi.

Le garçon n’était plus l’ancien garçon. Quant au patron, c’était un nouveau patron, et la patronne aussi, comme de juste.

J’interrogeai :

– Ce n’est donc plus M. Fourquemin qui est ici ?

– Oh ! non, monsieur, depuis trois mois. M. Fourquemin est à l’asile du Bon Sauveur, et Mme Fourquemin a pris un petit magasin de mercerie à Dozulé, qui est le pays de ses parents.

– M. Fourquemin est fou ?

– Pas fou furieux, mais tellement maniaque qu’on a été obligé de l’enfermer.

– Quelle manie a-t-il ?

– Oh ! une bien drôle de manie, monsieur. Imaginez-vous qu’il ne peut pas voir un morceau de pain sans en arracher la mie pour en confectionner des petits cochons.

– Qu’est-ce que vous me racontez-là ?

– La pure vérité, monsieur, et ce qu’il y a de plus curieux, c’est que cette étrange maladie a sévi dans le pays comme une épidémie. Rien qu’à l’asile du Bon Sauveur, il y a une trentaine de gens d’Andouilly qui passent la journée à confectionner des petits cochons avec de la mie de pain, et des petits cochons si petits, monsieur, qu’il faut une loupe pour les apercevoir. Il y a un nom pour désigner cette maladie-là. On l’appelle… on l’appelle… Comment diable le médecin de Paris a-t-il dit, monsieur Romain ?

M. Romain, qui dégustait son apéritif à une table voisine de la mienne, répondit avec une obligeance mêlée de pose :

– La delphacomanie, monsieur ; du mot grec delphax, delphacos, qui veut dire petit cochon.

– Du reste, reprit le limonadier, si vous voulez avoir des détails, vous n’avez qu’à vous adresser à l’Hôtel de France et de Normandie. C’est là que le mal a commencé.

Précisément l’Hôtel de France et de Normandie est mon hôtel, et je me proposais d’y déjeuner.

Quand j’arrivai à la table d’hôte, tout le monde était installé, et, parmi les convives, pas une tête de connaissance.

L’employé des ponts et chaussées, le postier, le commis de la régie, le représentant de la Nationale, tous ces braves garçons avec qui j’avais si souvent trinqué, tous disparus, dispersés, dans des cabanons peut-être, eux aussi ?

Mon cœur se serra comme dans un étau.

Le patron me reconnut et me tendit la main, tristement, sans une parole.

– Eh ben, quoi donc ? fis-je.

– Ah ! Monsieur Ludovic, quel malheur pour tout le monde, à commencer par moi !

Et comme j’insistais, il me dit tout bas :

– Je vous raconterai ça après déjeuner, car cette histoire-là pourrait influencer les nouveaux pensionnaires.

Après déjeuner, voici ce que j’appris :

La table d’hôte de l’Hôtel de France et de Normandie est fréquentée par des célibataires qui appartiennent, pour la plupart, à des administrations de l’État, à des compagnies d’assurances, par des voyageurs de commerce, etc., etc. En général, ce sont des jeunes gens bien élevés, mais qui s’ennuient un peu à Andouilly, joli pays, mais monotone à la longue.

L’arrivée d’un nouveau pensionnaire, voyageur de commerce, touriste ou autre, est donc considérée comme une bonne fortune : c’est un peu d’air du dehors qui vient doucement moirer le morne et stagnant étang de l’ennui quotidien.

On cause, on s’attarde au dessert, on se montre des tours, des équilibres avec des fourchettes, des assiettes, des bouteilles. On se raconte l’histoire du Marseillais :

« Et celle-là, la connaissez-vous ? Il y avait une fois un Marseillais… »

Bref, ces quelques distractions abrègent un peu le temps, et tout étranger tant soit peu aimable se voit sympathiquement accueilli.

Or, un jour, arriva à l’hôtel un jeune homme d’une trentaine d’années dont l’industrie consiste à louer dans les villes un magasin vacant et à y débiter de l’horlogerie à des prix fabuleux de bon marché.

Pour vous donner une idée de ses prix, il donne une montre en argent pour presque rien. Les pendules ne coûtent pas beaucoup plus cher.

 

Ce jeune homme, de nationalité suisse, s’appelait Henri Jouard. Comme tous les Suisses, Jouard, à la patience de la marmotte, joignait l’adresse du ouistiti.

Ce jeune homme était posé comme un lapin et doux comme une épaule de mouton.

Quoi donc, mon Dieu, aurait pu faire supposer, à cette époque-là, que cet Helvète aurait déchaîné sur Andouilly le torrent impitoyable de la delphacomanie ?

Tous les soirs, après dîner, Jouard avait l’habitude, en prenant son café, de modeler des petits cochons avec de la mie de pain.

Ces petits cochons, il faut bien l’avouer, étaient des merveilles de petits cochons ; petite queue en trompette, petites pattes et joli petit groin spirituellement troussé.

Les yeux, il les figurait en appliquant à leur place une pointe d’allumette brûlée. Ça leur faisait de jolis petits yeux noirs.

Naturellement, tout le monde se mit à confectionner des cochons. On se piqua au jeu, et quelques pensionnaires arrivèrent à être d’une jolie force en cet art. L’un de ces messieurs, un nommé Vallée, commis aux contributions indirectes, réussissait particulièrement ce genre d’exercice.

Un soir qu’il ne restait presque plus de mie de pain sur la table, Vallée fit un petit cochon dont la longueur totale, du groin au bout de la queue, ne dépassait pas un centimètre.

Tout le monde admira sans réserve. Seul Jouard haussa respectueusement les épaules en disant :

– Avec la même quantité de mie de pain je me charge d’en faire deux, des cochons.

Et, pétrissant le cochon de Vallée, il en fit deux.

Vallée, un peu vexé, prit les deux cochons et en confectionna trois, tout de suite.

Pendant ce temps, les pensionnaires s’appliquaient, imperturbablement graves, à modeler des cochons minuscules.

Il se faisait tard ; on se quitta.

Le lendemain, en arrivant au déjeuner, chacun des pensionnaires, sans s’être donné le mot, tira de sa poche une petite boîte contenant des petits cochons infiniment plus minuscules que ceux de la veille.

Ils avaient tous passé leur matinée à cet exercice, dans leurs bureaux respectifs.

Jouard promit d’apporter, le soir même, un cochon qui serait le dernier mot du cochon microscopique.

Il l’apporta, mais Vallée aussi en apporta un, et celui de Vallée était encore plus petit que celui de Jouard, et mieux conformé.

Ce succès encouragea les jeunes gens, dont la seule occupation désormais fut de pétrir des petits cochons, à n’importe quelle heure de la journée, à table, au café, et surtout au bureau. Les services publics en souffrirent cruellement, et des contribuables se plaignirent au gouvernement où firent passer des notes dans La Lanterne et Le Petit Parisien.

Des changements, des disgrâces, des révocations émaillèrent L’Officiel.

Peine perdue ! La delphacomanie ne lâche pas si aisément sa proie.

Le pis de la situation, c’est que le mal s’était répandu en ville. De jeunes commis de boutiques, des négociants, M. Fourquemin lui-même, le patron du Café du Marché, furent atteints par l’épidémie. Tout Andouilly pétrissait des cochons dont le poids moyen était arrivé à ne pas dépasser un milligramme.

Le commerce chôma, périclita l’industrie, stagna l’administration !

Sans l’énergie du préfet, c’en était fait d’Andouilly.

Mais le préfet, qui se trouvait alors être M. Rivaud, actuellement préfet du Rhône, prit des mesures frisant la sauvagerie.

Andouilly est sauvé, mais combien faudra-t-il de temps pour que cette petite cité, jadis si florissante, retrouve sa situation prospère et sa riante quiétude ?

CRUELLE ÉNIGME

Chaque soir, quand j’ai manqué le dernier train pour Maisons-Laffitte (et Dieu sait si cette aventure m’arrive plus souvent qu’à mon tour), je vais dormir en un pied-à-terre que j’ai à Paris.

C’est un logis humble, paisible, honnête, comme le logis du petit garçon auquel Napoléon III, alors simple président de la République, avait logé trois balles dans la tête pour monter sur le trône.

Seulement, il n’y a pas de rameau bénit sur un portrait, et pas de vieille grand-mère qui pleure.

Heureusement !

Mon pied-à-terre, j’aime mieux vous le dire tout de suite, est une simple chambre portant le numéro 80 et sise en l’hôtel des Trois Hémisphères, rue des Victimes.

Très propre et parfaitement tenu, cet établissement se recommande aux personnes seules, aux familles de passage à Paris, ou à celles qui, y résidant, sont dénuées de meubles.

Sous un aspect grognon et rébarbatif, le patron, M. Stéphany, cache un cœur d’or. La patronne est la plus accorte hôtelière du royaume et la plus joyeuse.

Et puis, il y a souvent, dans le bureau, une dame qui s’appelle Marie et qui est très gentille. (Elle a été un peu souffrante ces jours-ci, mais elle va tout à fait mieux maintenant, je vous remercie.)

L’hôtel des Trois Hémisphères a cela de bon qu’il est international, cosmopolite et même polyglotte.

C’est depuis que j’y habite que je commence à croire à la géographie, car jusqu’à présent – dois-je l’avouer ? – la géographie m’avait paru de la belle blague.

En cette hostellerie, les nations les plus chimériques semblent prendre à tâche de se donner rendez-vous.

Et c’est, par les corridors, une confusion de jargons dont la tour de l’ingénieur Babel, pourtant si pittoresque, ne donnait qu’une faible idée.

Le mois dernier, un clown né natif des îles Féroé rencontra, dans l’escalier, une jeune Arménienne d’une grande beauté.

Elle mettait tant de grâce à porter ses quatre sous de lait dans la boîte de fer-blanc, que l’insulaire en devint éperdument amoureux.

Pour avoir le consentement, on télégraphia au père de la jeune fille, qui voyageait en Thuringe, et à la mère, qui ne restait pas loin du royaume de Siam.

Heureusement que le fiancé n’avait jamais connu ses parents, car on se demande où l’on aurait été les chercher, ceux-là.

Le mariage s’accomplit dernièrement à la mairie du XVIIIe. M. Bin, qui était à cette époque le maire et le père de son arrondissement, profita de la circonstance pour envoyer une petite allocution sur l’union des peuples, déclarant qu’il était résolument décidé à garder une attitude pacifique aussi bien avec les Batignolles qu’avec la Chapelle et Ménilmontant.

J’ai dit plus haut que ma chambre porte le numéro 80. Elle est donc voisine du 81.

Depuis quelques jours, le 81 était vacant.

Un soir, en rentrant, je constatai que, de nouveau, j’avais un voisin, ou plutôt une voisine.

Ma voisine était-elle jolie ? Je l’ignorais, mais ce que je pouvais affirmer, c’est qu’elle chantait adorablement. (Les cloisons de l’hôtel sont composées, je crois, de simple pelure d’oignon.)

Elle devait être jeune, car le timbre de sa voix était d’une fraîcheur délicieuse, avec quelque chose, dans les notes graves, d’étrange et de profondément troublant.

Ce qu’elle chantait, c’était une simple et vieille mélodie américaine, comme il en est de si exquises.

Bientôt la chanson prit fin et une voix d’homme se fit entendre.

– Bravo ! Miss Ellen, vous chantez à ravir, et vous m’avez causé le plus vif plaisir… Et vous, maître Sem, n’allez-vous pas nous dire une chanson de votre pays ?

Une grosse voix enrouée répondit en patois négro-américain :

– Si ça peut vous faire plaisir, monsieur George.

Et le vieux nègre (car, évidemment, c’était un vieux nègre) entonna une burlesque chanson dont il accompagnait le refrain en dansant la gigue, à la grande joie d’une petite fille qui jetait de perçants éclats de rire.

– À votre tour, Doddy, fit l’homme, dites-nous une de ces belles fables que vous dites si bien.

Et la petite Doddy récita une belle fable sur un rythme si précipité, que je ne pus en saisir que de vagues bribes.

– C’est très joli, reprit l’homme ; comme vous avez été bien gentille, je vais vous jouer un petit air de guitare, après quoi nous ferons tous un beau dodo.

L’homme me charma avec sa guitare.

À mon gré, il s’arrêta trop tôt, et la chambre voisine tomba dans le silence le plus absolu.

– Comment, me disais-je, stupéfait, ils vont passer la nuit tous les quatre dans cette petite chambre ?

Et je cherchais à me figurer leur installation.

Miss Ellen couche avec George.

On a improvisé un lit à la petite Doddy, et Sem s’est étendu sur le parquet. (Les vieux nègres en ont vu bien d’autres !)

Ellen ! quelle jolie voix, tout de même !

Et je m’endormis, la tête pleine d’Ellen.

Le lendemain, je fus réveillé par un bruit endiablé. C’était maître Sem qui se dégourdissait les jambes en exécutant une gigue nationale.

Ce divertissement fut suivi d’une petite chanson de Doddy, d’une adorable romance de miss Ellen, et d’un solo de piston véritablement magistral.

Tout à coup, une voix monta de la cour.

– Eh bien ! George ; êtes-vous prêt ? Je vous attends.

– Voilà, voilà, je brosse mon chapeau et je suis à vous.

Effectivement, la minute d’après, George sortait.

Je l’examinai par l’entrebâillement de ma porte.

C’était un grand garçon, rasé de près, convenablement vêtu, un gentleman tout à fait.

Dans la chambre, tout s’était tu.

J’avais beau prêter l’oreille, je n’entendais rien.

Ils se sont rendormis, pensai-je.

Pourtant, ce diable de Sem semblait bien éveillé.

Quels drôles de gens !

Il était neuf heures, à peu près. J’attendis.

Les minutes passèrent, et les quarts d’heure, et les heures. Toujours pas un mouvement.

Il allait être midi.

Ce silence devenait inquiétant.

Une idée me vint.

Je tirai un coup de revolver dans ma chambre, et j’écoutai. Pas un cri, pas un murmure, pas une réflexion de mes voisins. Alors j’eus sérieusement peur. J’allai frapper à leur porte

– Open the door, Sem ! … Miss Ellen !… Doddy ! Open the door…

Rien ne bougeait ! Plus de doute, ils étaient tous morts. Assassinés par George, peut-être, ou asphyxiés ! Je voulus regarder par le trou de la serrure. La clef était sur la porte. Je n’osai pas entrer. Comme un fou, je me précipitai au bureau de l’hôtel.

– Madame Stéphany, fis-je d’une voix que j’essayai de rendre indifférente, qui demeure à côté de moi ?

– Au 81 ? C’est un Américain, M. George Huyotson.

– Et que fait-il ?

– Il est ventriloque.

LE MEDECIN. MONOLOGUE POUR CADET

Pour avoir du toupet, je ne connais personne comme les médecins. Un toupet infernal ! Et un mépris de la vie humaine, donc !

Vous êtes malade, votre médecin arrive. Il vous palpe, vous ausculte, vous interroge, tout cela en pensant à autre chose. Son ordonnance faite, il vous dit : « Je repasserai », et – vous pouvez être tranquille – il repassera, jusqu’à ce que vous soyez passé, vous, et trépassé.

Quand vous êtes trépassé, immédiatement un croque-mort vient lui apporter une petite prime des pompes funèbres.

Si vous résistez longtemps à la maladie et surtout aux médicaments, le bon docteur se frotte les mains, car ses petites visites et surtout la petite remise que lui fait le pharmacien font boule de neige et finissent par constituer une somme rondelette.

Une seule chose l’embête, le bon docteur : c’est si vous guérissez tout de suite. Alors il trouve encore moyen de faire son malin et de vous dire, avec un aplomb infernal :

– Ah ! ah ! je vous ai tiré de là !

Mais de tous les médecins celui qui a le plus de toupet, c’est le mien, ou plutôt l’ex-mien, car je l’ai balancé, et je vous prie de croire que ça n’a pas fait un pli.

À la suite d’un chaud et froid, ou d’un froid et chaud – je ne me souviens pas bien – j’étais devenu un peu indisposé. Comme je tiens à ma peau – qu’est-ce que vous voulez, on n’en a qu’une ! –, je téléphonai à mon médecin, qui arriva sur l’heure.

Je n’allais déjà pas très bien, mais après la première ordonnance, je me portai tout à fait mal et je dus prendre le lit.

Nouvelle visite, nouvelle ordonnance, nouvelle aggravation.

Bref, au bout de quelques jours, j’avais maigri d’un tas de livres… et même de kilos.

Un matin que je ne me sentais pas du tout bien, mon médecin, après m’avoir ausculté plus soigneusement que de coutume, me demanda :

– Vous êtes content de votre appartement ?

– Mais oui, assez.

– Combien payez-vous ?

– Trois mille quatre.

– Les concierges sont convenables ?

– Je n’ai jamais eu à m’en plaindre.

– Et le propriétaire ?

– Le propriétaire est très gentil.

– Les cheminées ne fument pas ?

– Pas trop.

Etc., etc.

 

Et je me demandais : « Où veut-il en venir, cet animal-là ? Que mon appartement soit humide ou non, ça peut l’intéresser au point de vue de ma maladie, mais le chiffre de mes contributions, qu’est-ce que ça peut bien lui faire ? » Et malgré mon état de faiblesse, je me hasardai à lui demander :

– Mais, docteur, pourquoi toutes ces questions ?

– Je vais vous le dire, me répondit-il, je cherche un appartement, et le vôtre ferait bien mon affaire.

– Mais… je n’ai point l’intention de déménager

– Il faudra bien pourtant dans quelques jours.

– Déménager ?

– Dame !

Et je compris

Mon médecin jugeait mon état désespéré, et il ne me l’envoyait pas dire.

Ce que cette brusque révélation me produisit, je ne saurais l’exprimer en aucune langue.

Un trac terrible, d’abord, une frayeur épouvantable !

Et puis, ensuite, une colère bleue ! On ne se conduit pas comme ça avec un malade, avec un client, un bon client, j’ose le dire.

Ah ! tu veux mon appartement, mon vieux ? Eh bien, tu peux te fouiller !

Quand vous serez malade, je vous recommande ce procédé-là : mettez-vous en colère. Ça vous fera peut-être du mal, à vous. Moi, ça m’a guéri.

J’ai fichu mon médecin à la porte.

J’ai flanqué mes médicaments par la fenêtre.

Quand je dis que je les ai flanqués par la fenêtre, j’exagère. Je n’aime pas à faire du verre cassé exprès, ça peut blesser les passants, et je n’aime pas à blesser les passants : je ne suis pas médecin, moi !

Je me suis contenté de renvoyer toutes mes fioles au pharmacien avec une lettre à cheval.

Et il y en avait de ces fioles, et de ces paquets et de ces boîtes

Il y en avait tant qu’un jour je m’étais trompé – je m’étais collé du sirop sur l’estomac et j’avais avalé un emplâtre.

C’est même la seule fois où j’ai éprouvé quelque soulagement.

Et puis, j’ai renouvelé mon bail et je n’ai jamais repris de médecin.