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Salomé

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PREFACE

Composed in 1891 in the French language, Salomé was not written for Madame Sarah Bernhardt, but was accepted by her for production at the Palace Theatre, London, in 1892, when a license was refused by the Censor. The play was first performed by the Théâtre de L’Œuvre, Paris, in 1896. Private performances have been given in England by the New Stage Club in 1905, and by the Literary Theatre Club in 1906. The opera of Dr. Richard Strauss was first produced in Dresden in 1905; an incomplete text is used for the score. The dramatic and literary rights are protected in every language. The original and complete French dramatic version, here reprinted, is the literary and dramatic property of Robert Ross. The German dramatic rights are vested with Herr Ludwig Bloch. The operatic rights for every country are the property of Dr. Richard Strauss. The right of English translation is the property of Mr. John Lane. Exclusive of the operatic version, the play is constantly performed in eleven different languages.

PERSONNES

HÉRODE ANTIPAS, Tétrarque de Judée

IOKANAAN, le prophète

LE JEUNE SYRIEN, capitaine de la garde

TIGELLIN, un jeune Romain

UN CAPPADOCIEN

UN NUBIEN

PREMIER SOLDAT

SECOND SOLDAT

LE PAGE D’HÉRODIAS

DES JUIFS, DES NAZARÉENS, etc.

UN ESCLAVE

NAAMAN, le bourreau

HÉRODIAS, femme du Tétrarque

SALOMÉ, fille d’Hérodias

LES ESCLAVES DE SALOMÉ

SCÈNE

[Une grande terrasse dans le palais d’Hérode donnant sur la salle de festin. Des soldats sont accoudés sur le balcon. A droite il y a un énorme escalier. A gauche, au fond, une ancienne citerne entourée d’un mur de bronze vert. Clair de lune.]

LE JEUNE SYRIEN. Comme la princesse Salomé est belle ce soir!

LE PAGE D’HÉRODIAS. Regardez la lune. La lune a l’air très étrange. On dirait une femme qui sort d’un tombeau. Elle ressemble à une femme morte. On dirait qu’elle cherche des morts.

LE JEUNE SYRIEN. Elle a l’air très étrange. Elle ressemble à une petite princesse qui porte un voile jaune, et a des pieds d’argent. Elle ressemble à une princesse qui a des pieds comme des petites colombes blanches.. On dirait qu’elle danse.

LE PAGE D’HÉRODIAS. Elle est comme une femme morte. Elle va très lentement. [Bruit dans la salle de festin.]

PREMIER SOLDAT. Quel vacarme! Qui sont ces bêtes fauves qui hurlent?

SECOND SOLDAT. Les Juifs. Ils sont toujours ainsi. C’est sur leur religion qu’ils discutent.

PREMIER SOLDAT. Pourquoi discutent-ils sur leur religion?

SECOND SOLDAT. Je ne sais pas. Ils le font toujours.. Ainsi les Pharisiens affirment qu’il y a des anges, et les Sadducéens disent que les anges n’existent pas.

PREMIER SOLDAT. Je trouve que c’est ridicule de discuter sur de telles choses.

LE JEUNE SYRIEN. Comme la princesse Salomé est belle ce soir!

LE PAGE D’HÉRODIAS. Vous la regardez toujours. Vous la regardez trop. Il ne faut pas regarder les gens de cette façon.. Il peut arriver un malheur.

LE JEUNE SYRIEN. Elle est très belle ce soir.

PREMIER SOLDAT. Le tétrarque a l’air sombre.

SECOND SOLDAT. Oui, il a l’air sombre.

PREMIER SOLDAT. Il regarde quelque chose.

SECOND SOLDAT. Il regarde quelqu’un.

PREMIER SOLDAT. Qui regarde-t-il?

SECOND SOLDAT. Je ne sais pas.

LE JEUNE SYRIEN. Comme la princesse est pâle! Jamais je ne l’ai vue si pâle. Elle ressemble au reflet d’une rose blanche dans un miroir d’argent.

LE PAGE D’HÉRODIAS. Il ne faut pas la regarder. Vous la regardez trop!

PREMIER SOLDAT. Hérodias a versé à boire au tétrarque.

LE CAPPADOCIEN. C’est la reine Hérodias, celle-là qui porte la mitre noire semée de perles et qui a les cheveux poudrées de bleu?

PREMIER SOLDAT. Oui, c’est Hérodias. C’est la femme du tétrarque.

SECOND SOLDAT. Le tétrarque aime beaucoup le vin. Il possède des vins de trois espèces. Un qui vient de l’île de Samothrace, qui est pourpre comme le manteau de César.

LE CAPPADOCIEN. Je n’ai jamais vu César.

SECOND SOLDAT. Un autre qui vient de la ville de Chypre, qui est jaune comme de l’or.

LE CAPPADOCIEN. J’aime beaucoup l’or.

SECOND SOLDAT. Et le troisième qui est un vin sicilien. Ce vin-là est rouge comme le sang.

LE NUBIEN. Les dieux de mon pays aiment beaucoup le sang. Deux fois par an nous leur sacrifions des jeunes hommes et des vierges: cinquante jeunes hommes et cent vierges. Mais il semble que nous ne leur donnons jamais assez, car ils sont très durs envers nous.

LE CAPPADOCIEN. Dans mon pays il n’y a pas de dieux à présent, les Romains les ont chassés. Il y en a qui disent qu’ils se sont réfugiés dans les montagnes, mais je ne le crois pas. Moi, j’ai passé trois nuits sur les montagnes les cherchant partout. Je ne les ai pas trouvés. Enfin, je les ai appelés par leurs noms et ils n’ont pas paru. Je pense qu’ils sont morts.

PREMIER SOLDAT. Les Juifs adorent un Dieu qu’on ne peut pas voir.

LE CAPPADOCIEN. Je ne peux pas comprendre cela.

PREMIER SOLDAT. Enfin, ils ne croient qu’aux choses qu’on ne peut pas voir.

LE CAPPADOCIEN. Cela me semble absolument ridicule.

LA VOIX D’IOKANAAN. Après moi viendra un autre encore plus puissant que moi. Je ne suis pas digne même de délier la courroie de ses sandales. Quand il viendra la terre déserte se réjouira. Elle fleurira comme le lis. Les yeux des aveugles verront le jour, et les oreilles des sourds seront ouvertes.. Le nouveau-né mettra sa main sur le nid des dragons, et mènera les lions par leurs crinières.

SECOND SOLDAT. Faites-le taire. Il dit toujours des choses absurdes.

PREMIER SOLDAT. Mais non; c’est un saint homme. Il est très doux aussi. Chaque jour je lui donne à manger. Il me remercie toujours.

LE CAPPADOCIEN. Qui est-ce?

PREMIER SOLDAT. C’est un prophète.

LE CAPPADOCIEN. Quel est son nom?

PREMIER SOLDAT. Iokanaan.

LE CAPPADOCIEN. D’où vient-il?

PREMIER SOLDAT. Du désert, où il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. Il était vêtu de poil de chameau, et autour de ses reins il portait une ceinture de cuir. Son aspect était très farouche. Une grande foule le suivait. Il avait même de disciples.

LE CAPPADOCIEN. De quoi parle-t-il?

PREMIER SOLDAT. Nous ne savons jamais. Quelquefois il dit des choses épouvantables, mais il est impossible de le comprendre.

LE CAPPADOCIEN. Peut-on le voir?

PREMIER SOLDAT. Non. Le tétrarque ne le permet pas.

LE JEUNE SYRIEN. La princesse a caché son visage derrière son éventail! Ses petites mains blanches s’agitent comme des colombes qui s’envolent vers leurs colombiers. Elles ressemblent à des papillons blancs. Elles sont tout à fait comme des papillons blancs.

LE PAGE D’HÉRODIAS. Mais qu’est-ce que cela vous fait? Pourquoi la regarder? Il ne faut pas la regarder.. Il peut arriver un malheur.

LE CAPPADOCIEN [montrant la citerne] Quelle étrange prison!

SECOND SOLDAT. C’est une ancienne citerne.

LE CAPPADOCIEN. Une ancienne citerne! cela doit être très malsain.

SECOND SOLDAT. Mais non. Par exemple, le frère du tétrarque, son frère aîné, le premier mari de la reine Hérodias, a été enfermé là-dedans pendant douze années. Il n’en est pas mort. A la fin il a fallu l’étrangler.

LE CAPPADOCIEN. L’étrangler? Qui a osé faire cela?

SECOND SOLDAT [montrant le bourreau, un grand nègre] Celui-là, Naaman.

LE CAPPADOCIEN. Il n’a pas eu peur?

SECOND SOLDAT. Mais non. Le tétrarque lui a envoyé la bague.

LE CAPPADOCIEN. Quelle bague?

SECOND SOLDAT. La bague de la mort. Ainsi, il n’a pas eu peur.

LE CAPPADOCIEN. Cependant, c’est terrible d’étrangler un roi.

PREMIER SOLDAT. Pourquoi? Les rois n’ont qu’un cou, comme les autres hommes.

LE CAPPADOCIEN. Il me semble que c’est terrible.

LE JEUNE SYRIEN. Mais la princesse se lève! Elle quitte la table! Elle a l’air très ennuyée. Ah! elle vient par ici. Oui, elle vient vers nous. Comme elle est pâle. Jamais je ne l’ai vue si pâle.

LE PAGE D’HÉRODIAS. Ne la regardez pas. Je vous prie de ne pas la regarder.

LE JEUNE SYRIEN. Elle est comme une colombe qui s’est égarée.. Elle est comme un narcisse agité du vent.. Elle ressemble à une fleur d’argent. [Entre Salomé.]

SALOMÉ. Je ne resterai pas. Je ne peux pas rester. Pourquoi le tétrarque me regarde-t-il toujours avec ses yeux de taupe sous ses paupières tremblantes?.. C’est étrange que le mari de ma mère me regarde comme cela. Je ne sais pas ce que cela veut dire.. Au fait, si, je le sais.

LE JEUNE SYRIEN. Vous venez de quitter le festin, princesse?

SALOMÉ. Comme l’air est frais ici! Enfin, ici on respire! Là-dedans il y a des Juifs de Jérusalem qui se déchirent à cause de leurs ridicules cérémonies, et des barbares qui boivent toujours et jettent leur vin sur les dalles, et des Grecs de Smyrne avec leurs yeux peints et leurs joues fardées, et leurs cheveux frisés en spirales, et des Égyptiens, silencieux, subtils, avec leurs ongles de jade et leurs manteaux bruns, et des Romains avec leur brutalité, leur lourdeur, leurs gros mots. Ah! que je déteste les Romains! Ce sont des gens communs, et ils se donnent des airs de grands seigneurs.

LE JEUNE SYRIEN. Ne voulez-vous pas vous asseoir, princesse?

LE PAGE D’HÉRODIAS. Pourquoi lui parler? Pourquoi la regarder?.. Oh! il va arriver un malheur.

SALOMÉ. Que c’est bon de voir la lune! Elle ressemble à une petite pièce de monnaie. On dirait une toute petite fleur d’argent. Elle est froide et chaste, la lune.. Je suis sûre qu’elle est vierge. Elle a la beauté d’une vierge.. Oui, elle est vierge. Elle ne s’est jamais souillée. Elle ne s’est jamais donnée aux hommes, comme les autres Déesses.

 

LA VOIX D’IOKANAAN. Il est venu, le Seigneur! Il est venu, le fils de l’Homme. Les centaures se sont cachés dans les rivières, et les sirènes ont quitté les rivières et couchent sous les feuilles dans les forêts.

SALOMÉ. Qui a crié cela?

SECOND SOLDAT. C’est le prophète, princesse.

SALOMÉ. Ah! le prophète. Celui dont le tétrarque a peur?

SECOND SOLDAT. Nous ne savons rien de cela, princesse. C’est le prophète Iokanaan.

LE JEUNE SYRIEN. Voulez-vous que je commande votre litière, princesse? Il fait très beau dans le jardin.

SALOMÉ. Il dit des choses monstrueuses, à propos de ma mère, n’est-ce pas?

SECOND SOLDAT. Nous ne comprenons jamais ce qu’il dit, princesse.

SALOMÉ. Oui, il dit des choses monstrueuses d’elle.

UN ESCLAVE. Princesse, le tétrarque vous prie de retourner au festin.

SALOMÉ. Je n’y retournerai pas.

LE JEUNE SYRIEN. Pardon, princesse, mais si vous n’y retourniez pas il pourrait arriver un malheur.

SALOMÉ. Est-ce un vieillard, le prophète?

LE JEUNE SYRIEN. Princesse, il vaudrait mieux retourner. Permettez-moi de vous reconduire.

SALOMÉ. Le prophète.. est-ce un vieillard?

PREMIER SOLDAT. Non, princesse, c’est un tout jeune homme.

SECOND SOLDAT. On ne le sait pas. Il y en a qui disent que c’est Élie?

SALOMÉ. Qui est Élie?

SECOND SOLDAT. Un très ancien prophète de ce pays, princesse.

UN ESCLAVE. Quelle réponse dois-je donner au tétrarque de la part de la princesse?

LA VOIX D’IOKANAAN. Ne te réjouis point, terre de Palestine, parce que la verge de celui qui te frappait a été brisée. Car de la race du serpent il sortira un basilic, et ce qui en naîtra dévorera les oiseaux.

SALOMÉ. Quelle étrange voix! Je voudrais bien lui parler.

PREMIER SOLDAT. J’ai peur que ce soit impossible, princesse. Le tétrarque ne veut pas qu’on lui parle. Il a même défendu au grand prêtre de lui parler.

SALOMÉ. Je veux lui parler.

PREMIER SOLDAT. C’est impossible, princesse.

SALOMÉ. Je le veux.

LE JEUNE SYRIEN. En effet, princesse, il vaudrait mieux retourner au festin.

SALOMÉ. Faites sortir le prophète.

PREMIER SOLDAT. Nous n’osons pas, princesse.